À la base, les règles du « dialogue social » sont assez simples : les représentants des personnels rencontrent les représentants de l’administration pour discuter de points concernant le fonctionnement des services.
Évidemment, chacun arrive avec un mandat, l’administration est mandatée par sa ligne hiérarchique (la ministre, le gouvernement…). Quant à nous, nous sommes mandatés par vous toutes et tous qui nous avez élus et qui pouvez nous interpeller à tout moment sur la manière dont nous vous représentons.
Évidemment aussi, les avis rendus sont consultatifs, ils sont faits pour « éclairer » la ministre qui aura de toute manière le dernier mot.
Enfin, dans le cadre de l’instance, on discute, on débat, on propose, on négocie, et il sort en principe de ces discussions des avis et des projets de textes réglementaires censés améliorer la bonne marche du ministère et les conditions de travail des personnels.
Voilà pour la théorie.
Or la réalité est souvent assez différente de cette vision enchantée.
Différente parce que l’administration, qui est sur son terrain, peut ne pas avoir envie de s’embêter à discuter avec les syndicats. Soit que les grands chefs qui la représentent n’aient pas de goût particulier pour la discussion. Soit que la ligne hiérarchique traverse une phase de rigidité sur le mode : « c’est nous qui décidons, et il n’y a pas le choix, les ordres viennent de plus haut ».
À certaines périodes, le « dialogue social » est plutôt détendu et constructif. À d’autres, il est plutôt stérile et crispé.
Ces derniers temps, il est franchement crispé.
On voit alors se déployer, sous des dehors aimables et sans jamais hausser le ton, toute une palette d’attitudes qui vont du dédain le plus hautain au dogmatisme le plus sec, alliées à des techniques visant à forcer le consentement de manière assez grossière.
Le déroulement des derniers comités techniques, ministériel et d’administration centrale (les derniers parce qu’il n’y en aura plus, c’est fini les CT), constitue à cet égard un cas d’école. Il illustre parfaitement la tendance d’une administration autoritaire à confondre dialogue social et contrôle social.
Prenons deux thématiques ayant donné lieu à des échanges au cours de ces séances :
la fonction RH et le repyramidage des filières de recherche et de documentation.
La FSU étant un syndicat de transformation sociale, quand on ne nous répond pas ou que la réponse sent un peu trop la langue de bois, nous avons tendance à insister.
Aussi, la nécessité de renforcer la « fonction RH », qui a fait l’objet de notre précédent tract, est une thématique que nous avons à maintes reprises portée en instance, tout comme nous l’avons portée dans le cadre des contacts plus ou moins formels que nous sommes amenés à avoir avec la hiérarchie et l’autorité politique.
Le cas du bureau des concours, qui comme on le sait a perdu quatre gestionnaires sur dix, a donc été abordé en séance sous forme de questions : « est-ce que vous trouvez ça normal et que comptez-vous faire ? » On a bien compris qu’ils ne comptent rien faire puisqu’ils laissent pourrir la situation, mais avant l’aveu final (« on peut faire du contrat donc on n’a pas de raison de renforcer le bureau des concours »), d’autres réponses nous ont été données.
La plus sublime a été entendue lors du CTAC (administration centrale) : « la diminution du nombre de postes peut sûrement être compensée par des gains de productivité ».
Ah bon, puisque vous le dites. Mais qu’est-ce que ça signifie au juste ? On dirait que, pour eux, fabriquer des concours c’est comme faire des biscottes, on automatise la chaîne, on met un peu d’électronique, et pof ! on fabrique plus de concours/biscottes avec moins de monde. Mais organiser des concours complexes comme ceux des métiers d’art ou de la recherche impose de travailler dans le détail, par petites unités, sur un mode quasi artisanal. Ça ne fonctionne pas comme une chaîne de production !
Dans le champ culturel, des « gains de productivité » sont possibles dans le cinéma par exemple, beaucoup moins dans le théâtre, d’où une évolution différente de l’économie de ces deux secteurs. Nos directions le savent très bien puisque ce sont des domaines qu’elles gèrent. Pourtant, on dirait que dès qu’il s’agit de nos affaires internes, elles mélangent tout.
Ou alors, si l’on considère qu’il n’y a pas de raison qu’un haut responsable perde soudain les pédales et commence à raconter n’importe quoi, il faut peut-être chercher ailleurs pourquoi il se met à parler de « gains de productivité ».
Et si, tout simplement, cela voulait dire : « toi, le syndicat, tais-toi, tu m’agaces ». Le dialogue, d’accord, mais ça va cinq minutes, on est prié d’être raisonnable et constructif, et de ne pas trop insister, un bon syndicat est un syndicat qui améliore les textes en déplaçant deux trois virgules, pas un syndicat qui insiste pour avoir des réponses.
Il faut les comprendre : ils nous préparent un bel ordre du jour, bien balisé, et voilà que nous arrivons avec nos questions hors-piste pour lesquelles ils n’ont pas d’« éléments de langage » tout préparés. Alors, forcément, ça dérape, et on a droit aux « gains de productivité » ou à tout autre rossignol du même acabit. Pourtant, on ne les prend pas en traître. Les syndicats de transformation sociale portent leurs thématiques de séance en séance avec une belle insistance. Par exemple, ces dernières années, la FSU a martelé un certain nombre de thèmes comme la RH, la filière recherche, les contrats miteux, etc. Donc, ils doivent bien s’y attendre, non ?
Eh bien, non, ça n’entre pas, on dirait que, pour eux, le dialogue consiste à aborder les thèmes qui les arrangent de la manière qui les arrange et que, une fois qu’ils ont donné une réponse qu’ils estiment suffisante, on n’a pas lieu de revenir dessus, cela ne se fait pas, ce n’est pas le dialogue social de bon ton, « raisonnable et constructif », qu’ils appellent de leurs vœux.
Mais s’ils sont tenus par les mandats que leur délivre l’autorité politique (un peu toujours les mêmes : réformer, transformer le service public, « fluidifier », faire des économies…), nous sommes, quant à nous, tenus par les mandats que nous donnent nos collègues, nos adhérents, nos sections, donc des mandats qui montent de nos bases face à leurs mandats qui descendent, et donc inévitablement deux visions antagonistes du ministère et de son organisation.
D’une certaine manière, c’est très bien comme ça. Nous ne nous attendons pas à ce qu’ils renoncent à leur idéologie néolibérale ni aux projets de réformes qu’elle leur inspire, mais ils ne doivent pas s’attendre à ce que nous nous contentions d’« accompagner » ces réformes pour les rendre juste un peu moins douloureuses.
Nous faisons du syndicalisme, pas un exercice d’anesthésie.
Aussi disons-le tranquillement : ce n’est pas parce que la loi de transformation de la fonction publique du président Macron autorise un recours accru au contrat qu’il faut en tirer prétexte pour continuer à massacrer le bureau des concours. Une telle loi, si elle est autre chose qu’une simple machine de guerre contre le statut, doit permettre d’ouvrir un vrai débat sur la place de l’emploi statutaire et de l’emploi contractuel, un débat public, un débat de conviction, pas une vulgaire aubaine pour flinguer des postes en douce.
En réalité, la partie est toujours jouable à condition que les méthodes employées par l’administration demeurent des méthodes loyales, que les propositions qui nous sont faites ne comportent pas de pièges plus ou moins tarabiscotés visant à nous empêcher d’agir ou à nous décrédibiliser.
Or, une telle situation s’est présentée lors du dernier CTM, à propos d’un « repyramidage/bricolage » des filières recherche et documentation.
Pour qui ne connaît pas bien tout cela, rappelons que la filière recherche comporte un corps de B (les techniciens de recherche) et trois corps de A (assistants ingénieurs, ingénieurs d’études et ingénieurs de recherche), ce sont quatre corps propres au ministère de la Culture. La filière documentation comporte un corps de B (les secrétaires de documentation, corps propre au ministère de la Culture) et un corps de A (les chargés d’études documentaires, corps interministériel Culture/Education nationale mais géré par la Culture).
L’ordre du jour comporte un point pour avis (sur lequel nous sommes appelés à voter) concernant un texte réglementaire, en l’occurrence un arrêté à caractère technique qui modifie, pour les prochaines années, le nombre de promotions dans les corps des chargés d’études documentaires et des assistants ingénieurs. Cette modification, et c’est une bonne nouvelle, augmente considérablement le nombre de promotions prévues. À tel point, et nous ne sommes pas longs à nous en rendre compte, que cela revient à vider purement et simplement les deux corps de B.
Bien sûr, il n’est pas question de s’opposer à un texte qui permet de promouvoir un nombre important de collègues de B en A, même si l’on trouve que le ministère aurait pu se réveiller avant puisque les techniciens de recherche sont coincés depuis des années en haut de leur grille sans possibilité de promotion à cause d’une mauvaise gestion des corps de A. Donc, en gros, ce qui est présenté comme un effort très généreux de la part de l’administration arrive à un moment où la plupart de ceux qui auraient pu en bénéficier sont partis à la retraite sans promotion.
Même si cela arrive tard, c’est toujours bon à prendre. Seulement il y a un hic : que deviennent les deux corps de B ? Si le texte est appliqué tel quel et si, d’autre part, il n’y a pas de concours de secrétaire de documentation et de technicien de recherche, les deux corps se retrouvent mécaniquement mis en extinction, sans que cela soit annoncé ni bien sûr discuté.
Comme on ne veut pas leur prêter à tort de mauvaises intentions, la FSU demande au secrétaire général s’il peut s’engager à ce que des concours de recrutement soient organisés pour ces deux corps, auquel cas, nul doute que l’ensemble de la représentation syndicale votera le texte avec enthousiasme. La réponse est négative : il n’a pas la moindre intention d’ouvrir des concours de secrétaires de documentation et de techniciens de recherche.
On nous demande donc de nous prononcer sur la possibilité pour les collègues d’être promus, mais « en même temps », et sans que cela soit dissociable, de supprimer sans aucun débat deux corps ministériels !
Au-delà de la référence à la politique actuelle, ce « en même temps » a un petit parfum gaullien. Mon général adorait proposer aux Français des référendums où il leur demandait une seule réponse pour deux questions différentes, nous faire ce coup est sans doute un hommage au fondateur du ministère.
Mais ce n’est quand même pas joli-joli, c’est même du dialogue social de maître chanteur.
Si on vote « pour », on cautionne le flingage de deux corps de catégorie B, et si l’on réclame plus tard un débat sur la place de ces deux corps dans le dispositif ministériel, on nous répondra « circulez, y’a rien à voir, vous avez voté pour leur suppression ».
Si on vote « contre », on passe pour des salauds qui s’opposent à la promotion de collègues pour des questions de principe. C’est une position intenable et, de toute façon, il n’est pas question de s’opposer à la promotion de nos collègues.
Si on s’abstient sur un dossier pareil, on passe pour des dégonflés incapables de tenir une position claire sans que ça change quoi que ce soit puisque, dans ce type de vote, s’abstenir revient à voter « pour » juste un peu mollement.
Non, vraiment, un très joli piège, bravos les gars.
Comme on n’est quand même pas aussi stupides qu’ils ont l’air de le penser, on choisit la seule réponse possible : le boycott. Au moment du vote, tous les syndicats sauf un sont absents. Il y a donc refus de vote à l’unanimité moins un, ce qui préserve la possibilité d’imposer un débat sur l’utilité des corps de B et la nécessité de les garder.
Voici donc en quelques lignes le petit monde enchanté du « dialogue social » ministériel. Dans les établissements, on retrouve peu ou prou les mêmes histoires. Quand c’est crispé, c’est crispé pour tout le monde.
Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille quitter la table, mais il ne faut pas non plus être naïf, connaissant les usages de la hiérarchie, nous avons énoncé notre position dans notre profession de foi ministérielle : le dialogue social OK, mais appuyé sur la construction d’un rapport de force.
Sinon on est au pays des Oui-Oui.