BnF : la tour T2 n’est pas à vendre

Cela faisait longtemps que nous entendions des bruits de couloir relatifs à la location et à la vente d’une partie, voire de l’intégralité d’une des quatre tours du site de Tolbiac de la BnF. A plusieurs reprises la FSU avait saisi de manière informelle des membres de la direction de l’établissement public à ce sujet. Chaque fois on lui avait répondu – catégoriquement – que cela n’était que le fruit de son imagination. 

Rumeurs de vente

Nous avions renoncé à poser des questions, quand la rumeur ne faiblissait pas. Le 8 octobre, la CGT s’était pour sa part adressée à cette direction de manière ouverte, dénonçant publiquement un projet de « déménagement de l’ensemble des collections conservées dans la tour Tour des Lois (Tour T2), mais également les bureaux du 1er au 7e étage qui seraient relocalisés dans des magasins libérés dans les autres tours ». Il s’agissait d’informations graves et préoccupantes, à savoir que soient aliénés à des intérêts privés les espaces de bureaux ou les magasins de conservation  d’une tour du site François Mitterrand, alors que, libérés par le transfert de collections à Amiens ils devaient dans l’intérêt des missions et des publics, continuer de nous être affectés. 

La tour T2 (à gauche)

Ayant à l’esprit les précédents de Louvois et de Sablé-sur-Sarthe ou la concession de la réserve foncière à Mk2 et la destruction – exorbitante – de l’ancienne entrée du bâtiment de Tolbiac et de son remplacement par une issue de secours inappropriée à l’accès des publics mais donnant directement accès à des salles de cinéma, nous avons saisi le Président Gilles PÉCOUT le 16 octobre au sujet de rumeurs persistantes relatives à des projets éventuels de vente et de location de tout ou partie de la Tour des Lois. Ce dernier nous a répondu «qu’aucune cession, vente ou location, à des acteurs et intérêts privés [n’était envisagée], ni pour la Tour des Lois, ni pour aucun autre espace du site François Mitterrand». 

La FSU ayant aussi demandé à la DAP de la BnF (Direction de l’Administration et du Personnel) la communication de l’étude chiffrée du SDI 2020-2030 ainsi que l’évaluation budgétaire interne réalisée en 2021 établissant les coûts et les recettes d’un éventuel projet de location, elle s’est vu répondre que l’administration ne  pouvait lui communiquer de document « sur un projet qui n’existe pas»

Conseil immobilier de l’Etat

Pourtant, un avis du Conseil de l’immobilier de l’Etat (CIE) en date du 4 mars 2021 précise bien, faisant lui-même référence à une étude chiffrée du Schéma directeur immobilier (SDI) de février 2021, que « La BnF envisage de louer à des tiers les futures surfaces excédentaires de la bibliothèque François-Mitterrand ». 

Le même avis fait mention de plusieurs «alternatives de valorisation d’espaces libérés dans la BFM, afin d’améliorer le rendement économique du domaine mis à sa disposition par l’État […] décrites et chiffrées dans le SDI », à savoir, l’optimisation des espaces tertiaires dans les tours et leur réaménagement : la rationalisation des espaces [permettant]de dégager deux étages pouvant être valorisés pour l’accueil de tiers (loyer de seconde main estimé à 400€HT HC/m²/an et refacturation des charges). 100 postes de travail jusqu’alors situés en local aveugle [étant] relocalisés dans des locaux éclairés (scénario 2). – la libération et la transformation d’étages de magasin : deux étages tertiaires par tour [devenant] valorisables (loyer estimé à 400€HT HC/m²/an et refacturation des charges). Le rafraîchissement de l’ensemble des espaces tertiaires et la relocalisation de 400 postes de travail dans des locaux éclairés [étant] intégrés au scénario.

Le montant des travaux [étant] estimé à 19,2 millions d’euros (TDC) et le produit de valorisation à 3 millions d’euros par an (scénario 3). – la libération et la réhabilitation de la totalité d’une tour : les locaux libérés [étant] valorisés en un usage de bureau permettant l’accueil de tiers (loyer de première main : 500€ HT HC/m²/an). 800 postes [étant] potentiellement relocalisés en locaux éclairés ».

Et maintenant ?

N’eût-il pas été utile pour la direction de la BnF, fors le malaise que ces étranges atermoiements auront entraînés, d’employer le plus-que-parfait dans ses communications afin de dissiper les inquiétudes et éviter les malentendus ? En vérité, le projet d’aliéner une partie significative du site de Tolbiac – sous couvert de valorisation – a bien été formé par l’administration ; il est décrit et chiffré dans l’étude du Schéma directeur immobilier de 2021, document répondant clairement à des sollicitations de la direction sous couvert, sans doute, de la tutelle.

La location de tout ou partie de la Tour des Lois a donc bien été envisagée au point d’engager les moyens techniques d’une étude qui en évalue la réalisation et le risque. Que ce projet ait été abandonné, qu’il n’ait plus cours, ne signifie pas qu’il ait jamais existé. Ce projet, dénoncé par le Conseil de l’immobilier de l’Etat qui l’a jugé trop risqué, demeure en tant que possibilité ; il répond à des contraintes financières autant qu’à une volonté politique qui s’inscrivent dans un long contexte de démembrements et de cessions du bien public, de ses missions et de ses emprises physiques.

Qu’une telle volonté d’aliéner le bien public à des intérêts privés, exploitant la libération d’espaces du site  François Mitterrand  à l’occasion transfert de collections à Amiens, ait existé, qu’un tel scénario s’inscrivant dans la continuité historique d’une série de défections et de désaffections de l’Etat, ait pu être aussi clairement formulé ne peut que nourrir du désarroi ainsi qu’une profonde inquiétude. Il s’agit pour nous d’un précédent inacceptable.  

Nous accueillons positivement « L’indéfectible attachement au service public et aux lieux qui permettent de le structurer » manifesté par Gilles Pécout dont nous partageons les termes. Au regard de l’instabilité politique et sociale actuelle, comme du profit que d’aucuns pourraient vouloir trouver dans le décloisonnement et la désagrégation progressive du domaine public, un tel attachement commun doit constituer l’ouvrage d’une solide ligne de front.  

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