Une comédie grotesque s’est jouée ces derniers jours autour de la commémoration de la bataille de Verdun.
Le programme de l’événement avait prévu le soir un grand concert avec un chanteur médiatique pour rassembler les milliers de jeunes invités à participer à cette journée de mémoire. Le choix de la Ville s’était porté sur Black M., un rappeur consensuel, très aimé par la frange la plus jeune.
Il n’est pas question ici de débattre de ce choix qui peut paraître un peu surprenant. Certes, le lien entre le répertoire de Black M. et la bataille de Verdun est à prime abord plutôt ténu, mais l’Histoire et l’Horreur étaient présentes tout au long de la journée et, un siècle après, les organisateurs voulaient clore sur autre chose, repasser du côté de la vie, dans son aspect le plus festif, un concert de masse dans la nuit de mai.
Oui mais… Un rappeur ! Noir ! Musulman ! Qui, à ses débuts, a eu des mots de rappeur révolté, les mots des « quartiers», avec son groupe Sexion d’Assaut…
Et tous les tristes, les sinistres et les vautours du nationalisme rance de monter aux rideaux, en dénonçant cet « outrage à nos morts » et à « notre mémoire ». Et l’affaire devient prétexte à un déchaînement de pure haine, sans aucun masque, avec le FN et ses alliés en première ligne. Le collectif Culture et Libertés (Clic) dénonce « l’infraculture islamo-racaille francophone de masse ». Pour Florian Philippot, c’est « un crachat contre un monument aux morts », pour Robert Ménard, « un viol de l’histoire ». Et Riposte laïque de renchérir : « Comment ne pas comparer cette trahison de la mémoire et de notre histoire, ce crachat sur les victimes, avec l’histoire de la guerre d’Algérie… c’est le résumé d’une volonté mondialiste de détruire la France, et de déconstruire son histoire, en salissant la mémoire de nos héros »…
Comme si les morts de Verdun leur appartenaient ! Comme si les massacres de la Grande Guerre n’étaient pas d’abord la démonstration inouïe de la bêtise humaine, de la force destructrice des nationalismes et du capitalisme, avant d’être un objet de fierté.
Comme si il n’y avait pas dans ces morts des marrons clairs, des marrons foncés, des noirs, des blancs crème, des roses, des jaunes – peut être même des Corses et des Bretons ! Tant d’hommes jeunes qui eux aussi aimaient la fête et la musique…
La réponse de Black M. a été sobre et digne : « Moi, Alpha Diallo, enfant de la République et fier de l’être, souhaite, par ce communiqué, faire barrière à ces propos haineux.. Je suis français, né en France, à Paris, et j’ai 31 ans. Eduqué par la France, terre d’accueil de mes parents, terre qui m’a vu grandir et permis de vivre de ma passion. Une terre pour laquelle mon grand-père Alpha Mamoudou Diallo d’origine guinéenne, a combattu lors de la guerre 39-45 au sein des Tirailleurs Sénégalais – ces mêmes Tirailleurs Sénégalais qui étaient également présents lors de la Bataille de Verdun… »
La ministre de la Culture a réagi fortement et dénoncé « Un ordre moral nauséabond et décomplexé. » ; suivi par Jack Lang et d’autres. Le MRAP et SOS racisme ont témoigné de leur indignation. Christiane Taubira a pris de la hauteur «…Verdun restera ce qu’il fut: un affrontement impitoyable, une hécatombe, un lieu où des hommes ont vaillamment combattu. Ils venaient de toutes les villes de France et de tout l’empire colonial. Sous la puissance de feu, armés de leur courage, conscients de leur commune humanité, ils nouèrent ces fraternités qui dépassent en ardeur la furie destructrice…»
Ce qui met en colère, c’est que cette bouffonnerie a été suivie d’effet.
Le maire, éprouvé par les attaques de plus en plus violentes, a déprogrammé le spectacle. Il avait reçu des courriers d’intimidation dans lesquels sa famille, et notamment ses enfants, avaient été menacés. Par peur de la haine, peur que ça dégénère, le maire de Verdun a donc décidé de revenir sur sa décision. Il était pourtant appuyé par une commission nationale, constituée d’experts, d’historiens et de représentants locaux, qui avaient validé son choix, mais qu’on a guère entendus pendant la polémique. Quel gâchis !
« Victoire ! », s’est immédiatement réjoui la fachosphère. «Notre mobilisation à tous a payé… nous prouvons que quand nous le voulons, nous nous mobilisons suffisamment pour impressionner le pouvoir. A retenir, à recommencer. Chaque fois qu’il le faudra. Chaque fois qu’on insultera la France et les Français…» (Riposte laïque).
C’est très grave. Une manifestation culturelle de premier plan est annulée suite à la campagne du Front national, des identitaires et des nationalistes. La victoire va leur en donner le goût.. Et faire tâche d’huile.
La preuve en est faite dès le lendemain. « A Verdun, une polémique à pleurer : les critiques de la droite ont rejoint celles de l’extrême droite, via un communiqué du parti Les Républicains, pour dénoncer… le fait que 3 400 jeunes français et allemands portant des tee-shirts de toutes les couleurs aient couru, dimanche, au milieu des tombes des soldats du cimetière situé à côté de l’ossuaire de Douaumont. Shocking ! » (Libé, 30 mai).
Là encore, rafales de mots indignés : « Indécence et mauvais goût » (LR) ;« cérémonie marquée par l’indécence » (Debout la France), « Indécent, vraiment indécent » (Marine Le Pen). Les mots sont les mêmes…
Il faut en avoir conscience, la bataille culturelle va être prioritaire en 2017. Détournant Gramsci, le Front National et les droites qui braconnent autour sont prêts à tout pour imposer leur hégémonie culturelle…
Il nous appartient de ne rien laisser passer !