Home sweet home, comme une célèbre chaîne d’hôtels bons marchés, hôtels de tourisme de masse, le Musée du Louvre revoit sa déco et casse ses codes. Rester dormir, comme chez soi, dans la Résidence des Rois, c’est la dernière idée market d’un Louvre qui s’affiche partout, métro, TV, revues chez le coiffeur, pour attirer les primo-visiteurs… et le monde entier !
Les rois rassurent dans ce monde de brutes, ils nous sauvent, un jour mon prince viendra… et voilà les secrets d’alcôve, les réceptions de l’ambassadeur, emballage doré goût pâte à tartiner, ça va se vendre comme des petits pains !
Privilège VIP, pour un couple Airbnb, venu pour jouir d’un Louvre cosy, débarrassé de ses primo intervenants (évitons le mot surveillants…), heureux d’être escortés, apéro dînatoire à la Joconde, dîner Vénus, concert folk aux salons Napoléon III, et cérémonie du coucher, juste pour une nuit en king size sous la Pyramide ! Utopie d’un monde rêvé sans utopies ni chaise percée. Notre-Dame sera encore plus belle et le petit déjeuner servi au lit dès 08h30, avec croissants à la french !
Dans le métro parisien on peut lire des phrases qui ne font pas plaisir : « Le Louvre, trésor national, sert la soupe à Airbnb, vampire immobilier ! ».
Le citoyen ne serait pas insensible à la marque ? Il n’y a pas à dire, le Louvre sait choisir ses mécènes et ses amis : Total, Sackler, Ahae, Vuitton, Campion… Le privilège de dormir dans un pyramidion translucide à l’entrée de la Pyramide (à côté du RX, sur le Belvédère comme disent les surveillants…) ne serait donc pas perçu comme un rêve royal mais plutôt comme l’image d’un saccage.
Les chinois ont refusé que La Grande Muraille se prête au jeu en 2018 !
En quelques mois, 26 000 logements mis en ligne sur Airbnb ont disparu de la location classique dans le centre de Paris. Comme à Venise ou Barcelone, le grand saccage de la ville lumière, submergée par le tourisme de masse, a bien commencé et le Louvre participe à la crise du logement dans la capitale.
Sans compter que pour garantir ce service hôtelier pour deux invités, entre le montage, l’opération elle-même et le démontage, plus d’une vingtaine d’agents publics auront été nécessaires, quand on épuise 15 agents souffrant au quotidien pour tenir la salle des Etats face aux touristes (face à face agressif, perpétuel tri de corps entrants et sortants, ici l’individu ne compte pas… et en plus, « on n’y voit rien», plus rien du tout).
« Le Louvre, trésor national, sert la soupe à Airbnb, vampire immobilier ! »
Au nom du Louvre , car ce n’est pas notre Louvre qui s’engage dans ce tourbillon événementiel en écrasant la vie sur son passage, ceux qui œuvrent aux pires coups de pub auront du mal à nous faire croire qu’ils veulent seulement toucher un public « cool », et « faire passer un message d’hospitalité, montrer qu’on est capable d’accueillir chacun du mieux possible, même des gens peu habitués » aux Musées, comme il est dit dans la presse, avec un grand mépris de classe.
Dans quelle chausse-trappe, quel piège grotesque, quel tour de passe-passe jamais imaginés veut-on nous entraîner ?
Pour les trente ans, un JR prétend faire réapparaître la Pyramide dans un océan de papier et le trompe l’œil devient le must du moment. Viennent ensuite les panneaux passe-têtes des nocturnes le samedi ; les chanteurs de tous poils pour concerts très privés ; à quand les montagnes russes cour Marly, toboggans aquatiques et tyrolienne jusqu’au café Richelieu ; train fantôme en VDI, fumerie dans les radiers, accrobranche sur les toits, détente en roof top et départ en saut à l’élastique pour un tour de poney salle du manège ? Bientôt des caïmans dans les bassins avec un food truck, spécial barbaque pour les enfants : celui qui jettera le meilleur morceau aura droit à un goûter gratuit, Vegan évidemment ! Enfin, on attend avec impatience la course « spécial Tour de France » dans la Grande Galerie… Le Louvre est événementiel. Un événement en efface un autre et l’océan est vide de sens.
Tout cela dérange le citoyen. La domestication de la Pyramide, vue comme le triste décor d’un home petit-bourgeois est plus qu’une fausse note : c’est un rapt.
Alors que 1170 conservateurs, architectes, professeurs interpellent la présidence appelant à la prudence pour la reconstruction de Notre-Dame, il semble également nécessaire de redire qu’un Musée, comme une bibliothèque, un centre d’archives, n’est pas un parc d’attraction.
Le 10 août 1793, premier anniversaire de la destitution du roi, la Convention, dans le palais du Louvre, ouvre le « Muséum des arts » : « en vue de régénérer les arts » (David), « ce monument sera national et il ne sera pas un individu qui n’ait le droit d’en jouir ». (Lettre de Rolland, ministre de l’Intérieur, à David, le 17 octobre 1792).
« Le Muséum n’est point un vain rassemblement d’objets de luxe ou de frivolité, qui ne doivent servir qu’à satisfaire la curiosité. Il faut qu’il devienne une école importante ».
Une école importante ! Projet Révolutionnaire, de conservation, étude et transmission, espace de liberté en définition constante où rien n’est achevé jusqu’au projet de visite ! Comme une promenade en bord de mer, l’Art regonfle à bloc !
Dehors les caïmans !