Livre blanc de l’archéo, tout ça pour ça

Livre Blanc, « jour blanc », plutôt, où la recherche du consensus conduit à estomper, dissimuler tous les contrastes et discordances dans un grand brouillard blanc. Malaise devant un texte où chacun peut trouver, dans le détail, à boire et à manger, mais où les points de clivage, de rupture, les vraies questions sont escamotées. Si la commission les a prises à bras le corps, le Livre n’en dit rien. Surface lisse.

La commission, en conclusion, se targue « d’être parvenue à réaliser une évaluation du dispositif d’archéologie préventive ». Voir, de poser un « diagnostic consensuel » – c’est bien là que blesse le bât ! A partir de quoi pourrait être proposé « un projet conceptualisé » dont l’objet est « d’améliorer le fonctionnement » et non, hélas, de le réformer.
Ce devait être l’occasion de mettre à plat « sans tabou ni a priori » toutes les difficultés rencontrées avec l’espoir de pouvoir sortir de la logique folle de la marchandisation de l’archéologie mise en place par la loi de 2003.

On est loin du compte. Le rapport rendu est l’expression d’un consensus mou qui évite soigneusement toutes les aspérités. En vain, puisque en fait, près d’un tiers des participants ont refusé de voter ou se sont abstenus.
Au final, la commission offre un bilan incomplet et des propositions disparates et pour partie vaines, faute de moyens, qui esquivent les problèmes fondamentaux.

Certes le rapport met en évidence certains dysfonctionnements dans le système réglementaire actuel, énonce des problèmes récurrents, propose même des pistes intéressantes sur les sujets qui peu ou prou font la la quasi-unanimité : la complexité de la procédure, les difficultés du contrôle scientifique, les « angles morts » de la saisine de l’Etat, l’inégalité de traitement des dossiers, la difficile protection des sites, le statut du mobilier archéologique, le point faible de la conservation des archives du sol, l’insuffisante diffusion des résultats, le manque de coordination entre programmes et organismes de recherche…
Mais il ne présente pas une réelle évaluation du dispositif actuel.
Même la phrase alibi « l’archéologie n’est pas une activité de travaux public mais de recherche […] elle ne saurait donc s’inscrire dans une logique purement (= seulement, exclusivement) commerciale », est siphonnée de son sens par l’adverbe. Après quoi, pas étonnant qu’on ne trouve rien sur les effets néfastes de la mise en concurrence des fouilles. Pire, le livre blanc légitime plus loin la vision néo-libérale de l’archéologie marchande et lui reconnaît une place dans le dispositif de la recherche publique.

L’évaluation économique n’apporte rien de nouveau. Les chiffres qui émaillent le rapport, tant dans le corps du texte que ses annexes, sont souvent incomplets, voire inexacts. Qu’on n’ait pas tous les chiffres, c’est une chose. Mais on pouvait du moins poser les problématiques. L’enjeu, selon nous, c’était bien d’apprécier, au plan économique, si le système « 2003 » (libéral, coup par coup) était le plus satisfaisant. Cette expertise n’est pas conduite.
On ne trouve pas non plus d’évaluation sociale du système permettant d’aborder le coût humain, financier et intellectuel d’une logique de concurrence marchande et de management agressif… Pas de bilan sur le développement de l’Inrap et ses politiques générales. Peu d’information sur les collectivités territoriales, rien sur les nouvelles structures privées dont la présence déstabilise tout le système. Rien sur les nouvelles formes de précarité et le « zapping » des générations de la relève. Pourtant, le livre blanc confirme au moins sur un point notre analyse : si le nombre de prescription de fouille se « maintient » et qu’il n’y a pas « de marché en pleine expansion », l’introduction d’opérateurs privés ne répond pas au besoin d’augmenter les capacités d’intervention, mais sert à tailler des croupières aux opérateurs publics, Inrap et collectivités.

Quant à l’évaluation « scientifique » du travail de ces dix dernières années, elle tient, tableau compris, en une page et demi, d’une folle sobriété sur le « qualitatif » !
Des propositions largement insuffisante qui esquivent les vrais problèmes.
La composition de la commission explique sans doute la frilosité de ce rapport : comment conjuguer des positions irréconciliables, ou des intérêts intrinsèquement contradictoires sauf à n’exprimer qu’un plus petit dénominateur commun ou occulter tous les clivages ?
D’une manière générale, on observe que nombre des propositions reprennent celles des précédents rapports, sans que leur succès soit ici plus garanti.

● Rien pour remédier à « la rupture de la chaîne opératoire » de l’archéologie préventive : le problème est identifié dans les constats, mais la commission ne projette pas d’y remédier.

● Pas de réponse à la question de la maîtrise d’ouvrage des fouille par les aménageur : un simple toilettage réglementaire s’impose (les SRA pourraient faire de l’assistance à maîtrise d’ouvrage !).

● Rien sur les conséquences délétères du système concurrentiel : la commission ne semble pas avoir eu connaissance d’un nivellement par le bas et semble seulement se féliciter de l’augmentation du nombre d’opérateurs. Pire, les équipes privées, créées pour s’emparer d’un marché, devraient être financées au titre de la recherche !

● Pas de nouvelles pistes pour résoudre les problèmes récurrents du financement de l’archéologie préventive : Seuls les SRA doivent améliorer leurs pratiques en matière de recouvrement fiscal !.
Au vu de la lettre de mission de la ministre on était en droit d’attendre un texte plus ambitieux et moins conformiste. La commission ne propose au final qu’une poignée d’avancées sur des sujets périphériques, et rien de concret sur les sujets les plus importants. Soit, au final quelques « toilettages » du dispositif actuel, certes utiles, mais finalement bien modestes au regard des problèmes actuels.

Le SNAC-FSU défend depuis toujours une archéologie de service public, disposant des moyens de mettre en œuvre une démarche scientifique de qualité.

Une archéologie qui ne peut être assurée que par des organismes publics, qui doivent collaborer en fonction de leurs compétences et de leurs moyens, rompant avec la logique concurrentielle qui a tout contaminé.

Une archéologie basée sur un financement global et pérenne qui assure l’ensemble de la chaîne opératoire dans le cadre d’une réelle programmation scientifique.
Basée sur des règles clairement définies et annoncées, cette péréquation mettrait fin au coup par coup aléatoire et devra permettre un traitement plus égalitaire sur l’ensemble du territoire.
Alors même que l’évolution de notre discipline aboutit au constat largement partagé que l’archéologie ne se limite plus à la fouille des habitats et des sépultures, il semble naturel de considérer que c’est la dégradation des archives du sol dans leur ensemble qui doit être prise en compte.

Le livre blanc évite soigneusement ces points essentiels.
Il ne répond pas à la commande, il esquive les problèmes fondamentaux, il conforte le système concurrentiel, il ne peut en aucun servir de base une réforme de la loi sur l’archéologie préventive.

Une seule issue : faire un sort définitif au « coup par coup », sortir de l’aberrante « maîtrise d’ouvrage » des fouilles par les aménageurs, changer le mode de financement des fouilles, réintégrer la fouille, coeur du métier, dans la sphère de la recherche publique !

Snac Fsu 61 rue de Richelieu 75002 Paris – 0140155131 – snac-fsu@culture;gouv.fr –

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