Le gouvernement Attal/Macron a décidé de mettre à profit les dernières années de la présidence pour supprimer les acquits sociaux difficilement obtenus dans le 3e quart du XXe s., anéantir les services publics et éliminer le fonctionnariat, et instaurer un système de surveillance et de répression de toute tentative d’opposition.
Pour installer un écran de fumée sur ces mesures entraînant un changement complet de la société et des conditions de vie de la majeure partie de la population, quoi de mieux que de faire appel à de grosses ficelles qui ont toujours bien fonctionné, le patriotisme et l’appel à la guerre, ou la peur de l’islamisme.
Leurs éléments de langage et de propagande sont tellement bien huilés que sous couvert d’arguments fallacieux et mensongers, tels que sécurité, terrorisme, attitude de « bonne » citoyenneté…, ils entraînent l’adhésion d’une partie de la population prête à abandonner, sans le réaliser, droits et libertés.
Dans la mise en place de cette politique, leurs attaques continuelles contre les signes religieux dits ostentatoires, c’est à dire en fait la population musulmane, trouvent une voie balisée par une pseudo laïcité agitée particulièrement contre les femmes.
Quelques voix tentent cependant encore de se faire entendre.
Ainsi, dans une tribune publiée par le journal Le Monde du 17 avril, le philosophe Jean-Fabien Spitz titrait : « L’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école contredit la laïcité ».
Il rappelle les principes de la loi de 1905 : l’Etat est neutre, il n’adopte et ne reconnaît aucun culte comme officiel, et ce afin que chaque individu puisse affirmer librement ses croyances « dans la mesure où cela ne porte pas atteinte à l’ordre public matériel, aux intérêts matériels des tiers, à leur liberté, à leur vie, à leurs propriétés ».
La loi de 2004 contredit ces principes en ne permettant pas aux élèves de faire état de leur croyances religieuses dans l’espace scolaire des écoles publiques, le terme public signifiant qu’elles appartiennent à l’ensemble des citoyens.
J.-F. Spitz relève trois propos mensongers utilisés par les tenants de cette loi :
-1. La loi étendrait simplement le principe de neutralité à l’espace scolaire. Or si l’Etat est neutre, c’est justement pour que les individus ne le soient pas et puissent manifester leurs croyances dans tout espace public. L’Etat neutre doit adopter une attitude impartiale entre des partis différents.
-2. Le vivre ensemble impliquerait que ce ne serait possible que pour des individus n’exprimant pas leurs différences. Or, le principe de laïcité consiste à faire vivre ensemble des individus différents et qui le disent. La laïcité doit permettre aux croyances de coexister, interdisant à l’Etat et aux autorités publiques de s’associer à aucune d’entre elles pour en discriminer d’autres.
-3. Le prétendu ordre public immatériel : les membres du groupe majoritaire devraient circuler dans un espace public vierge de toutes manifestations de croyances différentes des leurs sous prétexte d’en être choqués. Or l’espace public est, par définition, un espace ouvert à tous les individus dans leurs singularités.
Face à ces 3 mensonges, J.-F. Spitz rappelle 3 vérités.
-1. Le prosélytisme est une composante légitime de la croyance religieuse et fait partie de la liberté de conscience.
-2. L’école n’est pas un sanctuaire à l’abri de la diversité existant dans la société, mais au contraire doit transmettre objectivement l’acceptation de ces différences comme faisant partie de la vie sociale ordinaire. Aujourd’hui, l’école est plutôt le sanctuaire de la ségrégation sociale, ce qui devrait plus préoccuper le gouvernement que la chasse aux foulards.
-3. Les responsables politiques devraient comprendre que la discrimination par le vêtement, et les brimades et humiliations qu’elle entraîne, produit les effets inverses que ceux officiellement recherchés. Les adolescents issus de l’immigration ont la conviction que cette école qu’on veut leur imposer n’est pas la leur et veut les couper d’une part de leur identité.
La France est devenue un pays multiconfessionnel. Il serait plus judicieux de le reconnaître et d’intégrer ses différences dans le tissu républicain.
Comme en écho à cette tribune, le même jour, le sociologue Alain Policar était démis de ses fonctions au Haut conseil des sages de la laïcité par la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, à la suite de propos rapportés par RFI, cette éviction faisant suite à une campagne calomnieuse orchestrée par le réseau d’enseignants du secondaire Vigilance collèges lycées.
Dans Le Nouvel Observateur du 30 avril 2024, A. Policar réagit à son éviction. Il y voit le signe d’une montée de l’intolérance par rapport à l’expression de la différence.
Il rappelle que déjà sa nomination par le ministre Pap Ndiaye en avril 2023 avait déclenché une campagne d’opposition de la mouvance nationaliste-républicaine. Le ministre avait passé outre au nom de la nécessaire pluralité des points de vue. Cette optique n’est plus celle de l’actuel gouvernement, qu’il s’agisse de l’Éducation ou de la Justice, où l’on ne veut entendre que le discours officiel. Pour A. Policar, aujourd’hui la laïcité « officielle » est un moyen d’unification des conduites et non celui de préserver les libertés.
A. Policar se réclame du principe de laïcité dans la version libérale qu’en donne la loi de 1905. Et il considère donc la chasse aux signes religieux ostensibles, et en l’occurence il s’agit uniquement du foulard islamique, comme contre-productive, car cela renforce le sentiment des musulmans d’être exclus de la communauté des citoyens, sentiment qui correspond malheureusement à une réalité.
A. Policar souligne la montée de l’intolérance par rapport à l’expression de la différence. La laïcité est ainsi devenue une religion civile. Au nom de la République, certains se targuent de sauvegarder « l’identité nationale » en réprimant les signes religieux à l’école et, plus globalement, en accroissant les surveillances exercées, pour l’essentiel, à l’égard de l’islam.
Ceux qui demeurent attentifs aux risques de cette politique passent pour des complices de l’islamisme.
Et il rappelle le passé colonial de la France où le « dévoilement » des femmes était orchestré par les militaires, et spécialement par les putschistes d’Alger en 1958. Pour lui, le voilement des jeunes filles apparaît plus comme une affirmation identitaire que comme une manifestation non équivoque de prosélytisme.
Un collectif de plus de 130 personnalités du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche a apporté, dans une tribune au Monde également du 30 avril, son soutien au sociologue. Pour les signataires de cette tribune « Cet acte d’autorité interroge sur l’état des mœurs démocratiques ».
Ces évènements interpellent sur l’orientation de plus en plus droitière que prend le gouvernement. Si la menace d’une victoire du RN aux prochaines élections est réelle, elle ne doit pas faire oublier que le fascisme est déjà bien installé et que ce gouvernement met en place un arsenal de mesures préparant le nid de leurs alliés objectifs.
Maryannick Chalabi, 5 mai 2024