CGT – FSU
Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter l’opinion face à une dérive autoritaire du pouvoir exécutif : la banalisation d’un régime d’exception qui fait de l’interdiction la norme permet à un gouvernement mal élu, craintif face aux humeurs sociales qu’il provoque, d’entreprendre en relative discrétion un verrouillage inédit de la société. Pendant que tout un chacun parle virus et vaccins, Macron fait passer sa loi de sécurité globale sans rencontrer les résistances qui n’auraient pas manqué de s’exprimer si la population ne se trouvait pas dans un état de coma politique habilement entretenu.
A cet arraisonnement de la démocratie politique répond une atteinte de même gravité dans le registre de la démocratie sociale. Concernant le service public, les élites ministérielles, à la Culture comme ailleurs, ont totalement perdu de vue la notion de « fonctionnaire citoyen » qui est au fondement-même du statut général. L’idée que les agents publics, soumis à des obligations impératives en termes d’indépendance et d’impartialité, sont en retour partie prenante dans la définition de leurs missions leur est visiblement tout-à-fait étrangère. Voici dans leur imaginaire étroit le retour du « fonctionnaire sujet », un agent soumis sans discussion à l’autorité hiérarchique : « tu obéis et tu la fermes ! »
Evidemment, même si cette tendance constitue la pente naturelle de la haute fonction publique qui se rêve un destin à part, à bonne distance du commun des agents, ce n’est pas elle qui a initié ce tour de vis : la mise au pas de la fonction publique ordinaire est au coeur du programme de l’Empire autoritaire qui se déploie sous nos yeux. La loi de transformation de la fonction publique est bien l’agent infectieux qui a déclenché les pulsions autoritaires des énarques les plus réactionnaires, et cette loi a été pensée par les éléments les plus radicalisés de l’extrême centre macroniste pour que le service public ne soit plus un frein à la mue néolibérale de la société mais qu’il en devienne au contraire l’instrument obéissant.
Et par conséquent : haro sur le statut, vive la fonction publique de contrat qui permet aux chefs d’avoir des troupes à leur main. Pour s’assurer de la docilité de ses subordonnés, rien ne vaut un recrutement de gré à gré qui garantit la fidélité de vassaux reconnaissants. Certes, ce type de situation se rencontre déjà au sein de nos plus prestigieux établissements publics, mais avec jusqu’ici une certaine réserve et un vague parfum de scandale : la direction s’assoie sur les règles communes mais ne l’étale pas trop au grand jour. Bientôt, avec la fonction publique modernisée de la République en Marche, qui se promet de mettre à bas tout un tas de soi-disant « rigidités », de telles pratiques seront valorisées et deviendront la norme.
Parallèlement, la même loi de transformation de la fonction publique entend moderniser aussi le dialogue social, modernisation radicale puisque la destruction des CHSCT et le saccage des CAP bâillonnent une bonne fois pour toutes la parole des agents sur les deux grands pans que constituent les conditions de travail et l’évolution des carrières. Cette attaque est assez cohérente puisque la fonction publique de carrière telle que nous la connaissons repose sur le statut : plus de statut, plus de carrière, ou alors il faut réduire la notion de carrière à une aventure individuelle sur fond de compétition généralisée. Or l’idée d’une carrière garantie, surtout la carrière des autres, semble donner des boutons à nos élites : place au risque, à la fluidité, aux allers et retours entre le public et le privé, on a même prévu des collèges de déontologie pour sécuriser tout cela. Une partie de la haute fonction publique se sent donc prise d’un grand frisson d’aventure et endosse la mission sacrée de débarrasser le service public de tous les blocages statutaires. Bien sûr la haute fonction publique n’est pas homogène, mais comme le pouvoir politique met de plus en plus le nez dans les nominations, les hauts fonctionnaires soucieux de leur carrière ont tout intérêt à nager dans le courant, sinon gare.
Et nous voici donc en Pandémie et en déconfiture, avec un dialogue social mené par des gens dont l’intérêt est manifestement ailleurs. Bien sûr ce raidissement autoritaire est préparé de longue date : après Sarkozy et sa RGPP puis le quinquennat calamiteux d’Hollande, Macron ne fait qu’utiliser des leviers largement mis en place par d’autres, combinés avec la propension qu’ont les grands chefs à penser à la place des autres, sûrs d’avoir raison contre tout le monde.
Ainsi il y a quelques années, lors d’une réunion rue de Valois, la dir. cab. éphémère d’une ministre oubliée n’hésitait pas à énoncer doctement : « Les agents ont besoin de décloisonnement, de flexibilité et de transversalité ». Elle avait imaginé ça toute seule et rien à faire pour qu’elle entende que les agents réels, ceux qui travaillent dans les services, pas ceux qu’elle imaginait, ont bien davantage besoin de moyens, de reconnaissance de leur travail et d’un salaire correct que de « transversalité ».
Si donc aujourd’hui le dialogue social semble au point mort, ce n’est pas uniquement à cause de la congélation des rapports humains induite par Zoom et Lifesize, mais parce que la Pandémie a donné un coup d’accélération à un travers qui prend de l’ampleur depuis des années : la tendance des dirigeants à remplacer le dialogue par la mise en scène du dialogue.
Là encore, l’exemplarité politique est patente : de la même manière que les parlementaires se plaignent que le gouvernement n’attend pas qu’ils améliorent ses textes mais simplement qu’ils les valident, les directions ministérielles n’attendent pas que les syndicats interviennent dans l’écriture de leurs textes à elles, sauf à la marge pour en peaufiner l’aspect. Il y aura sans doute au bout de l’année un magnifique bilan du dialogue social dont toutes les cases auront été cochées, mais vidées de tout contenu.
La séquence des discussions autour des « lignes directrices de gestion », ces textes qui règlent théoriquement les procédures d’avancement et de mutation qui ont été soustraites aux CAP, a été emblématique de cette nouvelle façon de faire : la trajectoire était entièrement bouclée d’avance et les amendements des organisations syndicales étaient systématiquement rejetés dès lors qu’ils portaient sur le fond, quand bien même ils avaient fait l’objet d’un vote unanime.
Le mépris envers les corps intermédiaires, qu’il s’agisse du parlement pour Macron ou des organisations syndicales pour nos directions, n’est qu’une des conséquences de la mentalité managériale et comptable qui prévaut dans les hautes sphères et que la Pandémie facilite autant qu’elle la met en relief. Et cette mentalité est non seulement dangereuse pour la démocratie, ne serait-ce que parce que l’intérêt général ne se pilote pas avec des outils de management, mais elle tend par surcroît à vider l’action publique de toute substance politique, la réduisant à une allocation de moyens.
Certes, le ministère est présent dans la crise sanitaire au titre du soutien financier qu’il apporte aux industries culturelles et aux artistes, mais c’est à peu près tout : son action se cantonne au volet gestionnaire sans aucune possibilité de réflexion, ni de discussion, sur le sens de la culture et de l’action culturelle en temps de crise. Même la décision de fermer les musées et d’ouvrir les bibliothèques ne reçoit aucune justification rationnelle, d’autant plus qu’il s’agit d’une décision autoritaire, prise par dessus la tête de la ministre par des gens qui n’entendent ni discuter ni devoir s’expliquer.
Et lorsqu’en interne, les organisations syndicales demandent comme c’est leur rôle un bilan des structures culturelles qui sont restées ouvertes pendant le confinement, la réponse est : pas de réponse. Incompétence de gestion ou incompétence de dialogue ? Sans doute les deux mais en tout cas la marque d’un profond désintérêt qui n’empêche pas les directions de se féliciter d’un dialogue social exemplaire.
Or, alors que chacun voit son expression limitée par le biais technique de la visioconférence, par les tâtonnements du « mi-présentiel mi-distanciel » et par la saturation des bandes passantes, le ministère a démontré ses faibles capacités de dialogue en tentant d’imposer un calibrage des débats conduisant à limiter les temps d’expression et le nombre d’intervenants sur chaque sujet dans les instances.
Une sorte de charte du dialogue social se serait imposée à tous les établissements du ministère. Il est révélateur que lorsque des règles vont dans le sens de l’intérêt des agents, elles doivent être validées localement instance par instance, mais qu’une règle négative, elle, a vocation à s’appliquer partout. Déjà que l’on constate un peu partout dans les services que la Pandémie favorise le règne des petits chefs, point n’est besoin de les tenter en édictant d’en haut des règles toujours plus contraignantes. Pour le moment, ce fantasme managérial paraît avoir fait long feu mais prudence, les mauvaises idées ont la vie dure.
Les organisations syndicales doivent être respectées comme de réels interlocuteurs par les directions, de même que les agents doivent être respectés par leurs chefs en tant qu’agents citoyens, compétents et adultes, et n’ont pas à être traités comme des subalternes. Le lien hiérarchique s’impose à tous et personne ne le conteste mais hiérarchie ne signifie pas arbitraire ou intimidation, et la position hiérarchique comprend l’autorité mais aussi l’écoute et le dialogue, pas le garde-à-vous perpétuel.