CNC : « Comptes à rebours » (1971)

Après plusieurs mois de contrôle du CNC, la Cour des comptes a rendu public en septembre son rapport sur les exercices des années 2011 à 2021 :

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-centre-national-du-cinema-et-de-limage-animee

La Cour considère que le CNC est un opérateur de l’Etat important pour garantir le modèle français d’exception culturelle, parce qu’il a su anticiper les changements du secteur par une politique fiscale réactive et adaptée ; elle reconnait la qualité de sa gestion. Mais sur ce point, le Cour voit des axes d’amélioration et demande une certification par des commissaires aux comptes (p 54), une simplification de la spécificité des procédures d’aides et une meilleure lisibilité, reprochant au CNC de trop « provisionner » ; elle demande aussi que les tutelles lui fixent un contrat d’objectif et de moyen.

Sur le système des aides, la Cour mentionne en passant qu’une réalisatrice a été aidée sept fois entre 2011 et 2021, deux autres cinq fois, quatre fois pour neuf autres, et que « certaines sociétés de production reviennent jusqu’à 18 fois parmi les bénéficiaires » (p 66) ; la Cour salue cependant à ce sujet des « progrès déontologiques » (Cf. point 3.3.1.1).

En tant que représentant du personnel élu, nous n’avons ni le temps ni les compétences pour commenter en détail un texte qui est déjà très clair sur ces sujets, et dont les euphémismes ou métaphores sur la politique du CNC – qualifiée notamment de « nataliste », ou dont les dispositifs sont « à la carte » (p 6) – en disent suffisamment long sur la manière dont la Cour voit l’avenir de l’établissement. Pour autant, il nous semble important de relever ceux qui concernent plus directement les sujets que nous avions mentionnés et défendus ces derniers temps, et de les comparer avec ce qu’en dit la Cour des comptes.

Ceux-ci concernent notamment le Système d’Information et ses dépenses, la gestion des effectifs, la rémunération, ainsi que les « nombreuses difficultés » du site de Bois d’Arcy (ibid.). La Cour y consacre ses dernières « recommandations » stipulées dans ses observations définitives (p 9).

*

Sur la DPC à Bois d’Arcy pour commencer, nous lisons les éléments suivants avec tout d’abord un tableau sur les dépenses liées au projet informatique Garance :

Puis la Cour des comptes poursuit :

« La régie de recettes n’a pas été rétablie depuis 2018 concomitamment à la baisse drastique de l’activité photochimique qui n’a pas repris ses activités sauf à titre expérimental, l’investissement dans les installations du laboratoire a aussi considérablement chuté depuis 2014. Le site lui-même de Bois-d’Arcy s’avère un lieu de travail isolé propice aux difficultés sociales qui n’a pas fait l’objet d’une attention suffisante de la part des derniers présidents. Les conflits liés au management, mesures disciplinaires (5 sanctions sur 8 prononcées entre 2011 et 2021), licenciements (3 sur les 5 intervenus), absentéisme (cf. infra) y sont concentrés.

< note n° 117 «Le CNC a négocié par ailleurs cinq ruptures conventionnelles en 2020 et 2021 dont une à la DPC » (p 74)>

La Cour conclue plus loin : « il parait nécessaire que le CNC prenne des mesures volontaristes afin de remplir correctement ses missions de conservation et de valorisation du patrimoine cinématographique telles que définies par la loi. » (p 77).

*

Avec la DPC, la Cour met en perspective la gestion des effectifs du CNC de la façon suivante :

« Les personnels du secrétariat général et de la direction du patrimoine cinématographique ont une durée moyenne annuelle d’absence pour congé maladie particulièrement élevée dans les années récentes : respectivement 21,2 et 17,2 jours ouvrables par agent sur la période 2019-2021. Ce sont également les deux directions où la part des congés ordinaires est la plus élevée (respectivement 62,1 % pour le secrétariat général et 58,1 % pour la direction du patrimoine cinématographique sur la période 2011-2021). Interrogé par la Cour, le CNC estime que l’absentéisme plus élevé à la direction du patrimoine cinématographique et au secrétariat général (ressources humaines, services généraux, du registre et de l’inspection) tient à une population plus âgée < !?> et à une plus forte exposition au risque de pénibilité. Il semble qu’une vigilance particulière doive être portée aux fonctions supports et au site de Bois d’Arcy » (p 96)

Enfin, toujours sur cette question des effectifs, la Cour donne des chiffres à la page suivante :

Le résultat logique de ces départs continuels est le suivant : « Des paralysies peuvent cependant être provoquées par un turn-over important, des vacances de postes et par la connaissance trop faiblement partagée de l’ensemble du processus de gestion par les chargés de mission et les chefs de service. Un risque portant sur la continuité de service a été pointé par l’audit à blanc réalisé par le cabinet Grant Thornton et par le contrôleur général et financier » (p 98).

*

Concernant à présent les nouvelles grilles de rémunération présentées aux agents lors de l’été 2022, la Cour des comptes résume ainsi leur mise en place par l’administration du CNC :

« Une nouvelle proposition a été soumise à la négociation qui n’a pas été vécue de façon satisfaisante par les représentants du personnel et s’est achevée sur un protocole de désaccord avant la publication du décret. Il a appartenu ensuite au conseil d’administration de prendre les délibérations correspondantes et de prévoir le reclassement des agents contractuels en CDI dans la nouvelle grille à l’été 2022. Les inquiétudes, qui se sont traduites par une manifestation lors d’un conseil d’administration d’octobre 2022 et un mouvement de grève en fin d’année, portent sur les conditions du reclassement des contractuels dans les nouvelles grilles et les échelles indiciaires proposées. Ces nouvelles échelles indiciaires, dans le droit fil des lignes directrices du PPCR donnent la prime à des carrières longues plutôt qu’aux quinze premières années, faisant apparaître des pertes de chance avérées. Il semble donc nécessaire, comme en convient le secrétariat général du ministère de la culture, de procéder à des correctifs » (Page 99) »

*

Le cas des CDD est ensuite abordé de façon suffisamment appuyé pour que le CNC ait proposé récemment un nouveau « cadrage » fin septembre :

« le cadrage est assez flou et (…) les règles régissant les emplois en CDD ne sont pas reliées au cadre statutaire des contrats à durée indéterminée (référence à une catégorie hiérarchique et à la grille des emplois contractuels permanents). Par ailleurs, des libertés ont été prises par rapport aux quelques règles pourtant minimales décrites » (p 100).

Etant donné ce descriptif qui cache mal l’arbitraire du traitement des CDD par l’administration, nous ne pouvons ici que déplorer ces dérives inacceptables pour ces types de contrats.

*

Nous en arrivons donc enfin au sujet le plus spectaculaire au niveau des dépenses de fonctionnement. Certes, le progiciel Garance à la DPC n’est pas en reste comme on l’a vu plus haut, mais la Cour dévoile page 106 un tableau pour le moins édifiant sur les autres projets informatiques, alors que l’administration répète ne pas donner de « chèque en blanc » aux prestataires informatiques (les chiffres avant la virgule sont des millions d’euros) :

Nous nous interrogeons d’ailleurs sur certains chiffres indiqués dans ce tableau constitué par le CNC. La Cour reste prudente pour décrire la situation, parlant notamment de nécessité de « réajustements » (p 102), tout en indiquant au passage deux causes structurelles pour expliquer ces dérapages étant donné les résultats :

  1. Un plan de stratégie datant de 2013 mis à jour en 2018 et qui n’a pas réactualisé. Le SOSI étant un service transversal au CNC « essentiellement fonctionnel » du secrétariat général (p 102), il a donc été intégré à la Direction du numérique en 2019 qui est un service « métier » spécifique.
  2. Un Système de sécurité du SI qui reste rattaché au Secrétariat général mais qui a donc été séparé de son service originel ; ses documents de politique générale de sécurité n’ont pas été mis à jour depuis 2011 (p 103). Là-dessus, la Cour conclue que « le CNC ne dispose pas d’une cartographie actualisée des risques de sécurité SI » et indique aussi que l’application SAGESS/MesAides est « hébergée et gérée par un prestataire externe. La sauvegarde des données de l’application est également externalisée » (p 104).

Sur ces différents points, nous réitérons ce que nous disions en CA 2022 – ce qui avait d’ailleurs fait beaucoup rire les membres de notre administration – à savoir que les causes de ruines des projets sont directement liées à l’externalisation : les prestataires informatiques fonctionnant comme des mercenaires, ils ne cherchent qu’à maximiser par tous les moyens leurs profits ; et cela leur est d’autant plus facile qu’ils trouvent au CNC une organisation démantelée, avec un service support annexé à une direction métier, dont les prérogatives de sécurité sont séparées.

La seule solution efficace pour réaliser des projets informatiques de qualité sur le long terme au CNC est de recruter au SOSI des ingénieurs et experts en les rémunérant conformément aux directives ministérielles. Il faut que les prestataires soient encadrés par des agents du SOSI pour mener à bien ces projets essentiels pour les missions du CNC.

La Cour ne fait que constater ensuite que le « bilan est très coûteux » (p 107) avec des « dépenses records » (p 108), en s’en remettant aveuglément aux solutions de « mise en œuvre » de l’administration pour un meilleur « pilotage » du « projet » (ibid.).

Imprimer cet article Imprimer cet article