Une des missions du ministère de la culture est, à travers les musées nationaux en particulier, de rendre accessible des œuvres relevant du patrimoine national à l’ensemble de l’humanité.
C’est un beau projet inscrit dans une démarche entamée notamment à partir de la Révolution qui vise à donner à tous ce qui n’était qu’à certains privilégiés.
C’est donc avec une légitimité certaine que le Louvre accueille des millions de visiteurs chaque année auxquels il propose l’accès à plus de 36 000 œuvres réparties dans presque 73 000m² (chiffres de 2019).
Pour cela les moyens humains déployés en salles muséographiques devraient dépendre de la fréquentation et de l’ampleur des collections.
Or depuis une dizaine d’années les effectifs sont en baisse alors que la fréquentation a fortement augmenté.
Malgré la volonté de la nouvelle directrice de limiter les entrées à environ 30 000 par jour et de favoriser les réservations en ligne, le musée souffre toujours de la sur-fréquentation de certains espaces.
De nombreux groupes constitués d’une trentaine de personnes viennent se joindre aux visiteurs individuels et tout le monde se retrouve dans les espaces menant aux œuvres emblématiques devenues virales sur les réseaux sociaux.
Ces phénomènes de tourisme de masse impactent les collections, les conditions de visite et de travail.
Le flux entraîne une dégradation des collections, ne serait-ce que par la poussière et les attouchements répétés. Il oblige aussi à modifier l’emplacement des œuvres dans les salles lorsque c’est possible.
Malgré les différents dispositifs mis en place aux entrées et dans les salles les effets de foule créent une tension entre visiteu/ses/rs et employé/e/s et entre visiteu/ses/rs eux-mêmes. Les conditions de visite sont dégradées par l’accès et le temps limités face aux œuvres. Cela génère aussi des accidents (malaises, chutes, bouffées de stress).
La souffrance des agents aussi est réelle et cela fait déjà 2 fois en 3 mois que des AG se terminent à la direction.
À cela s’ajoute la prise de photos toujours croissante liée à la volonté de contrôle de l’image avant parution sur les réseaux.
De ce fait un nombre considérable de visiteu/ses/rs n’ont de relations avec les œuvres qu’au travers des images qu’ils ramènent.
Cette dématérialisation encore accentuée par les selfies et autres portraits convenus entraîne un usage « décoratif » du musée. Elle détruit le contact direct avec les œuvres et l’émotion qui peut en résulter.
La mission principale du Louvre se trouve de ce fait dévoyée par sa sur-fréquentation et les usages qu’elle induit.
Il ne s’agit pas d’ouvrir plus mais d’ouvrir mieux et de remettre les œuvres au cœur des relations avec le public.
Des pistes existent.
Recruter de nouveaux agents et passer les anciens CDD en CDI pour mieux accueillir le public.
Interdire les photos pourrait passer pour une sanction disciplinaire auprès de certains et la limitation des entrées avec un numerus clausus dans la salle des États (Joconde) pour une trahison du service public. Pourtant d’autres musées l’imposent, notamment de grands musées à l’étranger.
Une gestion du flux renforcée par un meilleur étalement des réservations sur les créneaux horaires (sans nécessairement les étendre) ou une ventilation du public dans les espaces moins fréquentés.
De nouvelles décentralisations des collections comme c’est déjà le cas avec le Louvre Lens.
Un Louvre moins attractif ?
À voir car si le confort de visite était nettement amélioré et les équipements mis à la disposition du public (ascenseurs, escalators, sanitaires, climatisation, audio-guides) modernisés on peut penser que la plupart des visiteurs y trouveraient leur compte.
Il devient de plus en plus difficile de faire cohabiter l’universalité avec la sur-fréquentation car comme pour l’alimentation, si l’on vise la surproduction on arrive à la malbouffe.
Dans cet ancien palais où l’on est à la fois souverain et serviteur, combien de temps encore subirons-nous cette politique ?