Le 16 juillet la Joconde, « le joyau du Louvre », a quitté la salle des Etats qui doit être rénovée. Cette relocalisation, programmée et anticipée par la direction du Musée, a provoqué une réaction en chaîne inédite qui perturbe de manière significative le personnel et les visiteurs.
Les images qui circulent sur les réseaux sociaux sont éloquentes : files d’attente interminables à l’entrée et à la sortie, modification de la circulation et fermetures inattendues de salles pour un bref coup d’œil à un tableau que l’on ne regarde plus vraiment. Passer devant la Joconde c’est visiter Paris.
La direction n’a pas caché ses intentions : le nouveau lieu de visite de la belle énigmatique devait correspondre à l’ambition de fréquentation. « La galerie Rubens a été choisie par la direction du musée parce que c’est la plus grande salle disponible. Elle permet de pouvoir gérer les flux extrêmement nombreux, à peu près 20.000 visiteurs par jour qui viennent admirer le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci. » (France Culture 16/07/2019) … quitte à sacrifier l’accès ou la présentation d’autres œuvres.
Le Louvre continue à affirmer sa place au sein des « nouveaux établissements culturels de masse » qui ont bien compris la leçon des grandes surfaces de divertissements que sont les parcs d’attractions. On y apprend dès le plus jeune âge la patience aux visiteurs qui acceptent docilement de piétiner pendant des heures pour quelques minutes d’émotion calibrée. On ne se pose pas la question de la qualité de la prestation ou de la rencontre avec l’œuvre, seul compte le rendement.
La soumission de la culture à la loi du marché, que symbolise à merveille l’obsession de la Joconde, tend à valider le choix de la simplification de l’offre culturelle en proposant des musées-supermarchés boîtes à clic où le smartphone devient le vecteur d’une émotion artistique standardisée. Ainsi, pour accéder aux demandes de ces nouveaux consommateurs de culture, le Louvre leur propose des « points selfie Joconde » pour accélérer les flux. Le visiteur consomme quelles que soient les conditions.
Nous nous sommes même éloignés de ce qui aurait pu être une querelle entre « anciens » et « nouveaux » visiteurs (pour aller vite : la rencontre vs. La consommation), car les tenants de cette nouvelle industrie culturelle ont fait le choix radical d’une rentabilité qui efface toute notion de transmission et d’éducation culturelle au profit d’un moment qui ne procure même plus d’émotion si ce n’est la satisfaction d’appuyer sur un bouton.
Devenir, être ou rester le plus grand Musée du monde doit-il passer par une politique d’appauvrissement de la diversité culturelle ?