Salaires, précarité, conditions de travail: des inégalités présentes dans toute la fonction publique
Les femmes sont toujours rémunérées 25 % de moins que les hommes en moyenne en France. Chaque jour, elles continuent donc de travailler gratuitement à partir de 15h40. Dans la Fonction Publique, elles représentent 62,5 % des 5,5 millions d’agents mais seulement 37% des postes d’encadrement supérieur et de direction. Elles partent à la retraite avec des droits à pension de 18% inférieurs à ceux des hommes pour les pensions civiles de la Fonction Publique d’Etat (Hommes 2450 euros, Femmes 2005 euros, chiffres bruts) et de 25% inférieurs à ceux des hommes pour les pensions des ouvriers d’Etat (Hommes 1963 euros, Femmes 1453 euros 1).
Des stagnations de parcours et des inégalités de promotion transcrites dans les rémunérations
Ces inégalités de pensions sont la conséquence de ruptures de parcours professionnels tout au long de la vie dont les facteurs, multiples, sont liés aux conditions de travail, aux métiers exercés, à la parentalité et aux inégalités de promotion.
La pénibilité n’épargne pas certains secteurs, notamment la Fonction Publique Hospitalière et l’Enseignement supérieur et la Recherche, qui cumulent le plus grand nombre d’accidents du travail. Les contraintes horaires (travail de nuit, les samedis et dimanches) sont beaucoup plus prégnantes que dans le secteur privé puisque 36,9% des agents de la FP travaillent le dimanche (25% dans le privé), 35,6% le soir (28,2% dans le privé) et 16,4% de nuit (12,5% dans le privé) 2.
La filière administrative de la FP territoriale, où les femmes sont majoritaires (61,3 %), ou bien celle de la FP d’Etat (56,6% de femmes), cumulent des inégalités salariales qui s’aggravent au fur et à mesure des parcours professionnels. Dans l’ensemble de la fonction publique ces inégalités passent d’un écart de 0,8% pour les femmes de moins de 30 ans à des écarts de 7,3% pour les 30-40 ans puis 11,5% pour les 40-50 ans et enfin 13,9% pour les 50-60 ans 3.
Des ruptures de parcours subies et non choisies
Le statut de parent et la persistance de représentations genrées tenaces, « obligent » encore les femmes à prendre la part la plus importante dans les soins et l’éducation des enfants tandis que les hommes se désengagent encore trop souvent de ces tâches. La part des agents travaillant à temps partiel, de droit ou de choix, mais le plus souvent subi et en lien avec la parentalité présente toujours une très forte inégalité de genre; 29,6 % de femmes et 12% d’hommes dans la Fonction Publique d’Etat, 34,9% de femmes et 12,6% d’hommes dans la Fonction Publique Territoriale, 25,6% de femmes et 14% d’hommes dans la Fonction Publique Hospitalière.
Tous ces facteurs et situations se trouvent aggravés pour les familles monoparentales, représentant désormais un quart des familles en France (chiffre en augmentation constante), la part des femmes étant par ailleurs à peu près stable, à 85%. Dans notre ministère les conséquences de ces ruptures de parcours sont particulièrement lisibles à travers les chiffres de l’action sociale; les demandeurs et bénéficiaires des prestations sociales individuelles ministérielles sont, sans surprise et à plus de 70%, des femmes.
Des mesures et moyens peu efficaces
A la Culture, où les femmes sont majoritaires (55 % de l’ensemble des effectifs 4), elles occupent seulement 42% des postes d’encadrement supérieur et de direction en administration centrale ou dans les DRAC et 32% des postes de direction des services à compétence nationale.
Malgré une prise de conscience déjà ancienne des inégalités de rémunérations et de parcours professionnels, malgré l’affichage de la lutte contre ces inégalités comme priorité ministérielle et un cheminement difficile à partir de multiples cas de violences sexistes et sexuelles dénoncés dans le périmètre des arts vivants et des industries culturelles puis en administration centrale, dans certains établissements et services à compétence nationale, les moyens humains et les mesures prises ne sont pas à la hauteur des enjeux et des réalités du terrain.
Des recrutements et des nominations opaques, restreignant la portée du cadre législatif existant
La Culture se range en 2020 parmi les trois ministères qui ne remplissent pas l’obligation de 40% de primo-nominations féminines des catégories A++ depuis la mise en place du décret sur les nominations équilibrées du 30 avril 2012. Un autre indicateur, constitué de la part des femmes occupant un emploi supérieur (cheffe de service, DRAC, DRAC adjointe et cheffes de pôle…), stagne et même régresse depuis 3 ans: de 34% en 2016, il est passé à 36% en 2017, 37% en 2018, 33% en 2019 et 31% en 2020 5. Que penser alors des dizaines d’établissements publics dans lesquels les nominations et les renouvellements de mandats échappent encore à ce cadre législatif, notamment dans le secteur de l’enseignement culturel où les femmes sont à peine 34% à la tête des EP du secteur et encore plus celui des arts vivants où aucune femme n’occupe le poste de présidente ou directrice générale en 2019 6 ?
Dans un ministère désormais majoritairement contractuel, une grande part des recrutements échappent par ailleurs au contrôle des procédures dites «sans discrimination» (opacité de la mise en place et de la composition des jurys procédant aux entretiens dans les établissements publics, inaccessibilité des compte-rendus écrits de ces entretiens), les textes législatifs ne s’appliquant qu’au périmètre des recrutements et promotions de titulaires via les concours et les examens professionnels 7. Les possibilités de contestation des décisions relatives aux mobilités et autres promotions s’étant par ailleurs considérablement réduites depuis la transformation des instances paritaires, on comprendra aisément l’insuffisance du cadre légal pour corriger les dérives inégalitaires ou discriminantes au long des parcours professionnels dans notre ministère.
Le SNAC-FSU condamne la réduction du rôle des CAP et des CCP et lutte pour que les mutations, les avancements et les promotions ainsi que les décisions et recours portant sur des cas individuels fassent l’objet de débats paritaires, donnant lieu à procès-verbaux.
Des revalorisations indiciaires insuffisantes dans les filières et métiers genrés, un plafond de verre dans la moitié des métiers à majorité féminine
Le plan d’action associé au protocole égalité professionnelle femmes hommes du ministère, validé en mai 2021, est encore très éloigné des objectifs d’égalité réelle de rémunération. Il ne s’attaque concrètement qu’à une part du problème, la compensation forfaitaire des temps partiels 8 et laisse des catégories entières de métiers sans aucune perspective d’amélioration à court ou moyen terme, notamment les métiers féminisées les plus mal rémunérés de la filière administrative (adjointes et secrétaires administratives), métiers mal défendus, tardivement intégrées dans les revalorisations indiciaires récentes et qui dans beaucoup de services centraux ou déconcentrés doivent faire face à une multiplication des missions, à des exigences nouvelles de polyvalence pas toujours reconnues ou accompagnées par les formations requises.
Dans presque la moitié des métiers où les femmes sont majoritaires, les hommes se retrouvent surreprésentés dans le grade sommital 9. Même en essayant de camoufler et neutraliser les inégalités de parcours et en « moyennant » l’ensemble des rémunérations (indice moyen plus montant moyen de l’indemnitaire), comme le font les rapports de situation comparée, des inégalités apparaissent malgré tout dans 12 des 28 corps de titulaires 10. Les indicateurs de salaire existants pour le périmètre des établissements publics, qui cumulent les deux tiers de nos effectifs, confirment que les inégalités femmes hommes se cumulent et s’accentuent tout au long des parcours professionnels mais surtout que ces inégalités y sont encore plus prononcées que dans le périmètre des services centraux ou déconcentrés; 60% des femmes se concentrent parmi les 10% de salariés les moins bien rémunérés, tandis qu’elles ne représentent plus que 43% des 10% les mieux rémunérés 11.
Pour toutes ces raisons, le SNAC-FSU revendique la mise en place sans délai d’étude de cohortes et l’ouverture de négociations relatives à des mesures structurelles de revalorisation de la part non variable des rémunérations (repyramidage…). Il participe aux négociations des grilles salariales des contractuels dans certains de ces EP, CNC ou INRAP, tout récemment.
Un secteur particulièrement touché par la problématique du genre, l’enseignement supérieur culturel
Alors que les femmes représentent la majeure partie des étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur culturel (écoles d’art et de design, écoles d’architecture, conservatoires supérieurs d’art dramatique, de musique et de danse 12) les enseignants titulaires sont, à une écrasante majorité des hommes 13 et ce rapport genré perdure depuis des décennies. Il est temps d’exiger la mise en place d’objectifs de parité de recrutements, cadrés temporellement, afin d’opérer un rattrapage absolument nécessaire dans ce secteur.
Donner les moyens d’articuler vie privée et parcours professionnel, favoriser un partage plus équitable des congés parentaux et familiaux entre les hommes et les femmes
Sur ce point le ministère de la Culture doit faire face à des problématiques communes à l’ensemble du monde du travail, limiter les interruptions de carrière et les temps partiels subis, leur impact catastrophique sur les niveaux de pension. Les politiques RH et d’action sociale doivent prendre des mesures concrètes en étendant les droits acquis et mettre en œuvre des mesures incitatives pour que les congés parentaux et familiaux soient mieux partagés entre les hommes et les femmes 14. L’anticipation des remplacements des agents prenant ces congés doit devenir effective dans la gestion RH de proximité afin de ne pas créer de dissensions dans les collectifs de travail, tout spécialement lorsque ceux-ci sont majoritairement féminins.
Le SNAC-FSU revendique la préservation des compétences des CAP, CCP et CHSCT sur toutes les questions relevant de la neutralisation de l’impact des congés familiaux sur la rémunération et les parcours professionnels. Il demande l’ouverture d’un dialogue social relatif à la place du télétravail et une conciliation des organisations du travail avec la vie privée, tenant compte des contraintes des ERP (travail de nuit, les samedis et dimanches), prégnants dans le secteur patrimonial.
Souffrances au travail, harcèlements et violences sexistes et sexuelles niées par les hiérarchies RH et les comités de Direction des établissements publics: le ministère de la Culture ne se donne pas les moyens de son Label Egalité
La nomination d’une haute fonctionnaire chargée de défendre ce qui est toujours affiché comme une grande cause de notre ministère ne peut suffire à déployer l’ensemble des mesures inscrites dans le protocole égalité femmes hommes signé le 20 novembre 2018. Le plan d’action associé à ce protocole ne prend que très partiellement la mesure de la réalité des violences et discriminations, détruisant individus et collectifs de travail. Il ne donne pas non plus les moyens horaires suffisants aux 120 référents nommés pour mettre en œuvre cette politique dans tous les services et établissements.
Malgré les alertes de la médecine de prévention, la mise en place de cellules indépendantes d’écoute et d’accompagnement des victimes, malgré les avis émis par ces dernières 15, les hiérarchies n’assument pas les responsabilités qui leur incombent: très peu de signalements sont suivis d’enquêtes internes, de la prise en charge et de la protection adéquate des victimes, de la mise en place des conditions nécessaires au recueil des témoignages et à la protection des témoins.
Le SNAC-FSU dénonce le laxisme et la tolérance des hiérarchies. Il revendique une obligation de réponse aux alertes et signalements avec des délais contraignants et la possibilité de sanctions en cas de non-mise en œuvre des actions inscrites dans les protocoles, chartes et plans d’action Egalité femmes hommes. Il est temps de respecter les obligations et les procédures, de faire immédiatement reconnaître les agressions sexistes et sexuelles en accident de travail, de mieux faire connaître leurs droits à l’ensemble des agent.e.s et des étudiant.e.s du périmètre ministériel.
1 (Chiffres DGAFP, ed. 2021 p187, chiffres 2018)
2 (Chiffres-clés du RA DGAFP sur Etat de la FP, ed. 2021 p.21, chiffres 2019)
3 (Rapport Annuel sur Etat de la FP, DGAFP 2021 p.167, encadré V 3.1-E1, chiffres 2019)
4 (Bilan social ministère de la Culture 2019, chiffres de l’année 2018)
5 (DGAFP Chiffres clés des nominations équilibrées FPE 2020 et Rapport de Situation Comparée du ministère de la Culture 2019 p. 10)
6 (Observatoire Egalité femmes hommes du Ministère de la Culture 2019, tableau 3)
7 (Décret du 10 octobre 2013 relatif aux modalités de désignation des membres des jurys, portant à 40% minimum la proportion de représentants de chaque sexe)
8 (Mesure forfaitaire de compensation des écarts de rémunération liés au temps partiel, mesurée chaque année depuis 2019 par un outil statistique interministériel DGAFP et mise en œuvre depuis 2020)
9 (Présentation du plan d’action ministériel associé au protocole Egalité professionnelle p. 5)
10 (Observatoire Egalité femmes hommes du Ministère de la Culture 2019, tableau 20)
11 (Observatoire MC de l’égalité femmes hommes 2019, tableau 22 et 23 p.35, chiffres 2014 et 2015)
12 ( 60% des étudiants sont des étudiantes, voir chiffres clés, p.9 du 1er rapport sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche Culture 2018, chiffres 2017)
13 (Professeurs des ENS d’architecture: 36 femmes et 115 hommes, Professeurs des ENS d’art et de design, 51 femmes et 89 hommes, Maîtres de conférences des ENS, 262 femmes 488 hommes, chiffres périmètre T2 issus du Bilan social MC 2019, pour l’année 2018)
14 (Notamment les congés de paternité, d’une durée de 25 jours, indemnisés par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que le congé de maternité ainsi que les temps partiels de droit pour éducation jusqu’aux 3 ans de l’enfant, qui ne sont quasiment jamais pris par les pères)
15 (Allodiscrim et Allosexisme pour les 28 à 29000 agents et 37000 étudiants du ministère, cellule Audiens pour les artistes et personnels du périmètre des arts vivants)