Des services amputés. Des agents en souffrance. Un patrimoine en péril.
« Étudier, Protéger, Conserver, Transmettre »
Si le ministère de la Culture n’a été créé qu’en 1959, et les DRAC seulement en 1977, il est utile de rappeler que des services régionaux de l’archéologie ont été créés dans chaque région dès 1957 (d’abord dénommés Circonscriptions des Antiquités Préhistoriques et Historiques, puis SRA en 1991).
Au sein des DRAC, les services régionaux de l’archéologie sont chargés de conduire la politique de l’État dans les régions, notamment dans les domaines de la connaissance, de la conservation et de la valorisation du patrimoine, ils participent à l’aménagement du territoire et contribuent à la recherche scientifique. Dans le domaine de l’archéologie préventive, les SRA assurent et veillent à l’application de la législation en mettant en œuvre la réglementation sur les fouilles et en prescrivant et contrôlant les opérations d’archéologie préventive rendues nécessaires par les différents, et toujours plus nombreux, projets d’aménagement du territoire. Ils ont un rôle essentiel d’arbitre dans le système concurrentiel de l’archéologie préventive.
Un lent sabotage des services régionaux de l’archéologie
Pourquoi rappeler ce qui est une évidence pour les archéologues français ?
Parce que le ministère mené par Mme Bachelot a décidé d’achever le travail de sabotage de ces services, et par là même des fondements de la conservation de notre patrimoine ; sabotage entamé il y a près de vingt ans par le gouvernement Raffarin (Mme Bachelot était alors ministre de l’Écologie).
Érosion des effectifs : comment on a coupé les bras des SRA…
Alors que toute une génération d’archéologues a fait valoir ses droits à la retraite, le ministère a tellement restreint les concours depuis vingt ans que les services sont exsangues. On estime aux deux tiers les archéologues des SRA éligibles au départ à la retraite entre 2014 et 2024. En 2013, après le fameux Livre Blanc de l’Archéologie, le ministère avait affiché la volonté de renforcer nettement ces services déconcentrés. Hélas ! Trois fois hélas ! Il n’a réussi à mettre en œuvre qu’un seul concours d’ingénieur d’études (en quinze ans !), aucun concours d’assistant ingénieur ni de technicien de recherche, et quasiment aucune ouverture de poste d’ingénieur de recherche dans la spécialité archéo. Et ce ne sont pas les deux ou trois nouveaux conservateurs recrutés chaque année qui suffisent à remplacer ceux qui partent.
Le résultat est terrible car sciemment obtenu. Les équipes sont épuisées, les missions ne peuvent être remplies, et les collègues qui ont œuvré à la création de la discipline partent à la retraite sans possibilité de transmettre le métier.
Le degré d’exigence scientifique, administrative et technique n’a cessé de croître depuis les lois du début des années 2000 (procédures toujours plus complexes, multiplication des applications métiers, développement scientifique et technique des prescriptions d’archéologie préventive…). Au-delà de l’absence de reconnaissance du travail colossal qui a été accompli par les agents au sein des DRAC, la déliquescence des effectifs et celle non moins prégnante des conditions d’exercice de nos missions relèvent d’une volonté de dégradation de l’action des services publics.
Carte archéologique nationale : comment on a crevé les yeux des SRA…
Dès 1838, une circulaire du ministre de l’Intérieur demandait aux préfets de recenser les sites archéologiques… En 1978, le ministère de la Culture se dote d’un premier système d’inventaire informatisé (SIGAL), puis la Carte archéologique nationale s’équipe en 1991 d’un système doté d’un module de cartographie (DRACAR), et enfin, en 1999-2001, l’application PATRIARCHE, avec SIG intégré. Depuis…
Rien.
Comme si le ministère de la Culture était resté sur le bas-côté des autoroutes de l’information !
Les agents n’ont jamais cessé d’enrichir cet outil. Près de soixante-dix mille sites archéologiques étaient recensés à la fin des années 1980, près d’un demi-million en 2010. Là encore, le fruit d’un travail considérable de la part des agents, toujours moins nombreux autour de ces missions pourtant fondamentales.
Dès 2010, on nous promet l’arrivée prochaine d’une mise à jour de Patriarche. Peu à peu l’application devient obsolète. Elle n’est plus mise à jour. Les systèmes d’exploitation changent. L’application pouvait tourner correctement sur les PC sous Windows XP, sorti en 2001, mais pas sur les systèmes plus récents. Microsoft n’assure plus la maintenance de XP depuis 2014. Les agents du ministère font preuve d’inventivité pour continuer à faire tourner l’indispensable outil, mais la chambre à air a tellement de rustines que la roue tourne de plus en plus difficilement. Jusqu’à cette injonction, début février 2022, d’arrêter le fonctionnement de cette application qui semble générer des failles de sécurité dans le réseau interministériel… Après la déliquescence des politiques culturelles, vient celle des outils de la connaissance. Triste destin pour le patrimoine.
Comment protéger un patrimoine lorsque l’on n’est plus capable de le localiser, de l’identifier ? Comment valoriser ce que l’on ne connaît pas, ou qu’on ne connaît plus ?
Dématérialisation ADS ratée : comment on est en passe de rendre sourds les SRA
Le plantage Patronum. Depuis le 1er janvier 2022, toutes les communes peuvent être saisies par voie électronique à l’occasion d’une demande relative au droit des sols. Et les communes de plus de 3500 habitants doivent procéder à la dématérialisation de l’instruction des autorisations d’urbanisme. Le ministère de la Culture a prévu une application, Patronum, censée permettre aux services déconcentrés (UDAP, CRMH et SRA) d’instruire et traiter ces dossiers. Mais Patronum est seulement en passe d’être installé dans les UDAP… Pour les services d’archéologie, il faudra attendre un calendrier de déploiement indéterminé, qui ne commencerait au mieux qu’avec six mois de retard, voire bien davantage. En attendant ? En attendant, les agents des services font face aux partenaires, aux aménageurs, aux usagers, et bricolent des solutions de transfert des fichiers de demandes d’autorisation d’urbanisme, les enregistrent sur des serveurs déjà saturés et chacun est conscient des risques de destructions de patrimoine, de découvertes fortuites en cours de chantier et donc des risques de fouilles de sauvetage à la charge de l’État.
Budgets de recherches sacrifiés : on cherche désormais à leur amputer les jambes…
Alors que le ministère de la Culture annonce une hausse de 7,5 % de son budget global pour 2022, les SRA ont appris la baisse drastique des budgets pour l’archéologie programmée. Une baisse qui toucherait l’ensemble des Services régionaux de l’archéologie entre 25 et 60 %. Or ces budgets sont essentiels pour la recherche archéologique, pour la formation des étudiants, pour la diffusion de l’archéologie auprès du public, et pour l’image de l’État face à ses partenaires territoriaux comme internationaux.
L’archéologie programmée est indissociable et complémentaire de l’archéologie préventive. Permettant la formation des futurs archéologues, le développement d’outils et de méthodes, elle intervient sur des sites souvent non concernés par l’archéologie préventive et son apport est essentiel pour des thématiques telles que les peuplements paléolithiques, les premières sociétés agro-pastorales, les premières formes de pouvoir dans les sociétés protohistoriques, les prémices des sociétés féodales, ou l’histoire des sociétés ultramarines. Sans l’archéologie programmée, ce sont des pans entiers de l’histoire que l’on cesse d’écrire !
Le SNAC-FSU n’accepte pas que la préservation du patrimoine soit confiée au hasard d’une loterie qui dissimule l’absence de politique culturelle publique. Le SNAC-FSU dénonce le saccage des services en charge du patrimoine, de son étude, de sa conservation et de sa diffusion auprès du public.
En cette période électorale incertaine, qui voit les forces réactionnaires obsédées de l’identité nationale instrumentaliser et réécrire l’histoire, la FSU Culture n’accepte pas de voir ainsi attaqués ceux qui font du passé un objet d’étude scientifique, ceux qui œuvrent à protéger le bien commun qu’est le patrimoine archéologique.