On connaissait déjà le peu de considération des ministres de la Culture pour le personnel de leur ministère. La nomination d’un animateur de télévision comme spécialiste du Patrimoine, ou celle d’un général sur sa seule qualification de paroissien actif comme responsable de la restauration de Notre-Dame, nous en avaient déjà donné la preuve.
L’actuelle ministre franchit une nouvelle étape avec sa déclaration au Club 21e siècle et le lancement de son programme « La Relève » : choisir 101 personnes qui vont « mieux incarner la France culturelle de demain » et prendre la tête des grandes institutions nationales.
La ministre se trouve face à « un problème de vivier ». S’interroge-t-elle à ce sujet sur la suppression des concours et sur le non renouvellement des postes ? Apparemment non…
La ministre veut recruter 101 personnes, une par département : « On va repérer ces jeunes professionnels au coup de cœur ». Il s’agit donc d’un choix arbitraire, ciblé, fondé sur des considérations subjectives.
« Ces personnes seront ensuite formées pendant quelques années et accompagnés par des mentors ». Cette formation sera assurée par Sciences Po (établissement bien connu pour ses compétences culturelles) et par l’association Les Déterminés.
Cette association a été fondée en 2015 par Moussa Camara, originaire de Cergy-Pontoise, après un séjour aux Etats-Unis en 2012, pour « donner à tous une chance d’entreprendre, y compris en banlieue et dans les milieux ruraux ». Il avait déjà auparavant créé l’association Agir Pour Réussir, qui « visait à enclencher des actions citoyennes et sportives et rapprocher les habitants oubliés des institutions ». Il est remarqué par Emmanuel Macron, qui le fait chevalier de l’ordre national du mérite en 2021, l’invite à la cérémonie d’intronisation de son 2e mandat, et fait sa 1ère visite de nouveau président à Cergy-Pontoise dès le lendemain de sa réélection.
Depuis, il le cite continuellement comme exemple d’entreprenariat. M. Camara « a réussi à faire des Déterminés une organisation incontournable de la French Tech » (cf. Pierre Berthoux, Forbes Magazine, 14 juin 2023). La Mission French Tech, rattachée à la Direction Générale des Entreprises, au sein du ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, est chargée de soutenir la structuration et la croissance de l’écosystème des start-up françaises, en France et à l’international.
C’est dire que nous sommes bien loin du Service public de la Culture. Derrière l’exploitation politique des thèmes de la diversité et de la place des femmes, il s’agit encore une fois de saper le rôle des institutions et du personnel de la Culture.
On piétine l’action des formations : ainsi les écoles d’art sont menacées de fermeture les unes après les autres (un tiers des écoles d’art sont en difficultés financières et n’ont pas d’aide de l’Etat ; celle de Valenciennes ferme en 2025) ; la situation des écoles d’architecture n’est pas meilleure. On ignore la situation catastrophique de bien des services dont les personnels, en nombre insuffisant, sont dans l’incapacité de remplir leurs missions (le cas des UDAP entre autres). On gère les problèmes, au coup par coup, sans programme prévisionnel, ni réflexion (à l’exemple de la BPI où l’on envisage de détruire des collections d’ouvrages « faute de place » dans les locaux provisoires pendant les travaux du Centre Pompidou).
Les exemples du manque de volonté d’une politique de la Culture au service de tous sont innombrables. La ministre remplit la mission qui lui a été donnée : accélérer l’avancement du pays dans la voie du néo-libéralisme, voire détruire tout ce qui pourrait encore faire obstacle à ce programme.
Le processus, engagé depuis longtemps, a été consacré par la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel le 1er août 2007 : « obtenir rapidement des résultats », rendre compte « de la popularité des interventions », mettre en avant les « obligations de résultats »… Tout esprit de création, tout programme de recherche a été mis à mal par les notions de rentabilité et d’évaluation purement quantitative. Rien n’est plus facile alors d’accuser des institutions culturelles exsangues d’incapacité et de remettre au secteur privé le soin de mettre en place une culture de marché construite sur la médiatisation, la valorisation des records et une pseudo notoriété.
Le marché remis à une association privée fondée sur la valeur d’entreprendre au sens commercial, et bien en cour, entre directement dans ce programme.