Comment et pourquoi devenir un chef toxique

Comment un ministère qui a vocation de s’occuper de culture, qui prône à tout bout de champ l’ouverture et le partage, peut-il être à ce point accro au management autoritaire pour le fonctionnement de ses services ? Et comment peut-il tolérer parmi ses encadrants une telle proportion de personnalités toxiques, adeptes du management au stress et de la violence hiérarchique ?

Car dans nos services et nos établissements, rien n’est fait ou presque pour tempérer la toute-puissance du chef sur ses troupes. L’arrivée d’un nouvel encadrant peut en quinze jours détruire un collectif de travail et rendre l’atmosphère à tel point irrespirable qu’il ne reste aux agents que peu d’options pour sauver leur peau : mutations pour ceux qui peuvent, démissions ou arrêts maladies pour les autres. Telle est la marque infaillible du dérapage hiérarchique.

Et que font les directions lorsque des alertes leur sont remontées ? Rien. Si un agent se plaint trop fort il se retrouve en commission disciplinaire pour « attitude exagérément critique vis-à-vis de son supérieur hiérarchique » (si, si !) et si l’alerte est remontée par la voie syndicale, toute une petite machinerie se met en route, à base de beaux discours et d’enquêtes bidon, pour discréditer les témoignages des gueux qui se plaignent, et surtout pour rassurer l’encadrant mis en cause : « ne t‘inquiète pas, tu sais bien que tu as été mis là pour une seule raison : ne pas faire de vagues. Tant que tu ne viens pas nous demander des moyens, que tu ne nous forces pas à intervenir, que tu supportes sans broncher les réductions de moyens et d’effectifs, tu peux bien faire ce que tu veux avec tes personnels, on s’en tape ».
Alors comment faire carrière, dans un bazar pareil ? Comment mener sa barque en répondant en tous points au profil du chef apprécié de sa hiérarchie ?

A partir de ce qu’ils vivent au quotidien, les agents d’un service sous tutelle de la DGPA, situé en Ile-de-France, se sont mis en quatre pour donner quelques conseils utiles à tous les candidats au rôle de chef toxique.

Aux termes de cette étude, un bon chef toxique doit absolument :

1 – Mettre le bazar au quotidien
• Bloquer l’information, montante ou descendante ;
• Noyer les informations en rajoutant dans un courriel de réponse sur un sujet bien identifié des informations parcellaires sur d’autre dossiers ;
• Mobiliser ses agents sur des projets qu’il n’a pas l’intention de mener à leur terme ;
• Faire mine de croire que les demandes de dernière minute ne prennent pas de temps ;
• Engager les agents sur des dossiers sans les consulter ;
• Organiser des réunions en tête à tête pour négocier des dossiers à huis clos.

2 – Faire preuve d’une solide incompétence pour le poste occupé
• Ne pas faire de vagues en acceptant de perdre des postes ;
• Répartir la charge de travail au petit bonheur sans tenir compte de l’état réel des effectifs ;
• Aller seul dans les instances sans connaître les dossiers ;
• Faire reposer des décisions sanitaires sur ses agents ;
• Laisser pourrir les situations « on ne résoudra pas le problème aujourd’hui ».

3 – Avoir un égo démesuré et un sans gêne décomplexé
• Se mettre en avant en lieu et place de ses équipes dans toutes les manifestations officielles ;
• Piquer les invitations des agents pour aller à des inaugurations à leur place ;
• Rester campé sur ses positions quand bien même la contre-argumentation fait l’unanimité parmi les agents.

4 – Discriminer tous azimuts
• S’enquérir pour de mauvaises raisons de la santé de ses agents ;
• Estimer qu’une femme en télétravail jonglera entre ses enfants et ses lessives ;
• Interroger ses agents sur leurs convictions politiques ou leur engagement syndical ;
• Attaquer verbalement et individuellement les représentants du personnel.

5 – Avoir la manie du contrôle et ne jamais faire confiance
• Mettre en porte à faux ses équipes sur leur propre terrain d’expertise en allant à l’encontre de leurs préconisations ;
• Toujours préférer les avis extérieurs ;
• Considérer que le télétravail les lundis et vendredis c’est pour prolonger les week-ends.

6 – Déstabiliser et diviser pour mieux régner
• Ne pas hésiter à monter les agents les uns contre les autres : dire à l’un des membres de son équipe que les autres ne l’apprécient pas ;
• Ou encore les mettre en concurrence : « si vous avez ce poste, l’équipe d’à côté n’en aura aucun » ;
• Culpabiliser un agent qui se plaint d’être au bord du burn out en lui rappelant son salaire et trouver normal en contrepartie qu’il travaille le soir et le week-end.

7 – Dénigrer le travail de ses équipes et afficher son mépris de classe
• Dire à un agent qui part en mission qu’il se balade ;
• Ne pas tenir compte de l’ancienneté et des compétences de ses agents pour les groupes RIFSEEP et ne pas se battre pour leur obtenir des promotions ;
• Se satisfaire de la précarité pour les agents contractuels et ne surtout pas réclamer pour eux de meilleurs contrats plus protecteurs ;
• Médire de ses équipes, notamment des agents de petites catégories, en présence de partenaires extérieures en leur prêtant comme seul intérêt pour leur poste la proximité de boutiques.

8 – Méconnaître les missions et les métiers
• Toujours penser que les agents sont interchangeables – vive la polyvalence ;
• Accompagner vaillamment la baisse des effectifs, contre laquelle on ne s’est jamais battu, en réorganisant son service sans tenir compte des missions ni des compétences de ses équipes.

Voilà, bien sûr il s’agit là d’un travail en cours, à partir d’un seul cas (mais un très beau cas). Vous aussi, chers collègues, pouvez participer à l’écriture du manuel du chef toxique en nous faisant part des petites manies de vos chefs toxiques à vous. Mais peut-être avez-vous reconnu dans les lignes qui précèdent quelques traits familiers…

En tout cas, pour notre part, nous considérons que si le ministère laisse proliférer ce genre d’encadrants suspects, il se tire une balle dans le pied car le lien hiérarchique ne peut jouer son rôle structurant que s’il répond à la fois à une condition d’efficacité (pour les encadrants) et de légitimité (pour les encadrés). De telles situations n’ont au bout d’un compte qu’en seul effet : en sapant la confiance des agents, elles affaiblissent le ministère.

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