Dans un ministère où tous les signataires de ce protocole égalité s’accordent à dire que le travail à accomplir est immense, car il comprend non seulement des actions de formation, de prévention des risques mais surtout de traitement des inégalités réelles touchant 28 500 agent.e.s et plus de 36 000 étudiant.e.s de l’enseignement supérieur culturel, nous souhaitons faire un constat ou un rappel, désagréable mais nécessaire, de ce qui a été oublié en chemin depuis novembre 2018.
Un outil de pilotage inachevé
Premièrement, il nous faut un outil et un calendrier de suivi des mesures et du plan d’action à la fois plus précis et plus global. Le « plan d’action » validé en Comité Technique ministériel en mai 2021 est en fait une déclinaison actualisée des 18 mesures du protocole mais non un plan d’action détaillant chacune des actions de ces 18 mesures, telles qu’elles devraient être discutées dans cette instance. La dernière version du tableau de suivi de ce plan d’action date en réalité de la séance du 16 juin 2020.
Dans certains ministères ce comité de suivi se réunit tous les deux mois, le nôtre n’a tenu qu’une séance en juin et un groupe de travail en avril 2021, les deux dernières séances prévues dans le calendrier, celle d’octobre et de décembre, portant sur la finalisation des actions des axes 4 (Lutte contre toutes formes de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles) et 3 (Pour une meilleure articulation entre professionnelle et vie privée) n’ayant jamais été convoquées, sans explication.
Sur le plan de la méthode, il nous faut donc redéfinir un calendrier de travail plus régulier, une meilleure articulation avec les séances du CHSCT ministériel qui seront dédiées aux luttes contre les violences mais aussi disposer rapidement de compte-rendus partageables et diffusables pour chaque séance ou groupe de travail de ces instances.
Par ailleurs, plusieurs organisations syndicales ont réclamé dès 2019 et à juste titre la présence et la participation de représentants de toutes les Directions générales, afin que les opérateurs et établissements sous tutelle administrative, cumulant les deux tiers des effectifs ministériels, obligés à trouver sur leur propre budget les moyens de mise en œuvre de plusieurs de ces mesures (les inégalités de rémunérations en tout premier lieu) soient non seulement associés à l’avancement de ce plan d’action mais mis en position de responsabilité dans l’application de ces 18 mesures.
Nous avons déploré, dès la première séance du comité en 2019, l’absence d’un outil de mesure statistique annuel intégrant les données issues de l’ensemble du périmètre ministériel et cet outil n’est toujours pas en place en 2022. Tous les moyens du Service des Ressources Humaines doivent collaborer pour créer rapidement cet outil de pilotage de la politique Egalité professionnelle ministérielle. Un bilan social ministériel dont les données genrées ne concerne que le périmètre T2 (10 291 ETPT pour 28 372 ETPT ministériel en 2019) ne peut constituer cet outil.
Les enquêtes du Bureau de l’Emploi et de la politique de Rémunération), dont les données apparaissent dans le Bilan social annuel pour les effectifs et les rémunérations (p.29-35 du bilan 2019) et qui collectent des données genrées depuis 4 ans pour l’ensemble du périmètre T3, y compris les EPIC, doivent être intégrées dans les bilans sociaux ministériels ou a minima servir de document de travail pour ce comité. De même, les bilans relatifs à l’enseignement supérieur culturel, dont le premier a été diffusé en 2019, au moment de la mise en place du Cneserac, bilans qui ont vocation à devenir annuels, devraient être inclus dans ces outils de pilotage, les questions de genre et celles des violences étant prégnantes pour orienter les politiques d’égalité dans ce secteur sous tutelle administrative ou pédagogique ministérielle.
Un attentisme qui pèse sur les agent.e.s et des prises en charge de signalements déficientes
Pourquoi cette urgence ? Parce que notre ministère ne peut se contenter d’annoncer de nouvelles labellisations d’Etablissements Publics ou du renouvellement de la labellisation discriminations et sexisme ministérielle si les signalements de faits de discriminations de genre et si les saisines et avis rendus par les cellules Allodiscrim, Allosexisme (et la cellule Audiens, mise en place en juin 2020 pour les artistes, techniciens, personnels administratifs et d’accueil du spectacle vivant et enregistré) ne sont pas suivi d’effets très concrets; réponses positives données aux représentants syndicaux lorsque ceux-ci réclament de bon droit le déclenchement d’une enquête interne bloquée par la direction du service ou par les Directions Générales, écoute respectueuse et en binôme de la parole des victimes, des témoins et des personnes mises en cause, le respect des consignes relatives à l’établissement des procès verbaux des auditions de toutes les parties, la mise en place des protections dues aux victimes et aux témoins, ou des décisions de suspension des agresseurs, voire de sanctions proportionnées à l’issue des enquêtes et lorsque les faits relèvent du pénal et que débute une procédure judiciaire.
Tous les guides et fiches réflexes DGAFP existantes, les actions de formation et le peu de moyens horaires donnés aux 120 référents dédiés à ces questions dans notre ministère ne semblent pour le moment n’aboutir que très rarement à l’éviction des harceleurs et agresseurs pour ne parler que de la question des violences et de l’axe 4 du protocole pour lequel nous sommes réunis aujourd’hui. La création d’un comité interdisciplinaire de suivi des signalements, présidé par le secrétaire général adjoint du ministère, telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui après les préconisations du rapport de l’IGAC, représente une avancée théorique, y compris dans certaines des formulations avancées dans le projet d’arrêté ministériel, mais ne donne en réalité pas plus de moyens humains ni de gage autre que les effets d’annonce auxquels nous sommes habitués depuis plusieurs années, de voir mises en place les procédures décrites et de voir aboutir les rares procédures pénales engagées.
Des angles morts qui restreignent la portée des mesures adoptées
Deuxièmement et concernant les questions d’égalité de recrutements, de rémunérations et de parcours professionnels, le SNAC-FSU ne partage pas l’optimisme de notre ministre récemment interviewée sur évolution positive des parités dans les nominations et l’accès aux fonctions d’encadrement supérieur ou intermédiaire. La lecture des derniers chiffres clés DGAFP 2020 montrent que la Culture se range parmi les trois ministères qui ne remplissent pas l’obligation de 40% de primo-nominations féminines des catégories A++ depuis la mise en place de cette obligation. Certes, certaines évolutions vont dans le bon sens, portées par une volonté politique de briser le plafond de verre des quelques dizaines de nominations au choix à la tête d’établissements publics qui font la renommée de notre ministère mais que penser des dizaines d’autres établissements sous tutelle dans lesquels une part non négligeable des nominations et des renouvellements de mandats échappent encore au cadre des 40% de nomination genrée ou à un cadre paritaire existant, notamment dans le secteur des arts vivants.
Cette opacité subsistante est aggravée du fait que dans un ministère désormais majoritairement contractuel, une grande part des recrutements échappent au contrôle des procédures dites « sans discrimination » (opacité de la mise en place et de la composition des jurys procédant aux entretiens dans les établissements publics, inaccessibilité des compte-rendus écrits de ces entretiens par exemple), les obligations de parité et les procédures paritaires ciblant pour l’essentiel les recrutements des titulaires via les concours et les examens professionnels et les possibilités de contestation des décisions relatives aux mobilités s’étant par ailleurs considérablement réduites depuis la transformation des instances paritaires.
Mais que dire des inégalités de rémunérations, touchant beaucoup d’autres métiers genrés et féminisés, notamment les plus mal rémunérés de la filière administrative (adjointes et secrétaires administratives), métiers qui restent très mal défendus et à l’écart des mesures prises jusqu’à présent, ou encore des inégalités de promotions, qui touchent la plupart des échelons supérieurs des filières et des métiers, sans compter le problème des métiers genrés de catégorie A et A+, pour lesquels le plan d’action ne trace aujourd’hui aucune perspective d’amélioration à courte ou moyenne échéance; voir par exemple les chiffres alarmants des professeurs des écoles nationales supérieures d’architecture (36 femmes et 115 hommes), celui des écoles nationales supérieures d’art (51 femmes et 89 hommes) ou celui des maîtres de conférence de ces écoles (262 femmes et 488 hommes) dans le bilan social ministériel de 2019.
Ce n’est certainement pas la mesure forfaitaire de compensation des temps partiels qui peut à elle seule réduire des inégalités qui se cumulent tout au long des parcours professionnels et qui aboutissent encore et plus que jamais à un décrochage du niveau de pension de retraite servi aux femmes (chiffres Rapport Annuel DGAFP 2021 p.189; pension civile de droit direct 2018 dans la Fonction Publique d’Etat; hommes 2450 euros, femmes 2005 euros, pour les ouvriers d’Etat; hommes 1963 euros, femmes 1453 euros, chiffres ministériels non disponibles). Il faudrait néanmoins et a minima que soient préservées les compétences des CAP, CCP et CHSCT (ou futures formations spécialisées des CSA) sur ces questions de neutralisation de l’impact des congés familiaux, sur les rémunérations et les parcours professionnels, avec d’autres mesures à venir luttant contre ces inégalités ou facteurs d’inégalités.
Une articulation avec la question de la visibilité des femmes dans les programmations culturelles
Enfin et cela concerne le cœur de l’action ministérielle, alors que des textes de loi encadrent également depuis 2017 la parité des membres des commissions d’acquisitions, de distribution de subventions aux artistes et de sélections de ces artistes à des concours internationaux, aucun retour dans ce comité de suivi sur ces indicateurs d’égalité femmes hommes n’a été présenté. L’enjeu de parité de ces commissions, qui est celui d’agir en amont de la création en favorisant un regard féminin sur l’aide à la création et sur les choix d’entrée dans les collections du secteur patrimonial, cet enjeu et ses conséquences positives en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans le monde de la Culture n’a pas été pris en compte dans ce comité. Même si notre priorité est bien celle de la défense des agent.e.s et des étudiant.e.s contre tous types d’inégalités et de violences, ce comité ne peut se désintéresser de la question de la place des femmes plasticiennes, musiciennes, autrices, compositrices, réalisatrices… dans les programmations des services et des établissements accrédités et subventionnés par le ministère.
Le SNAC-FSU réclame donc que le fonctionnement de ce comité de suivi, son rôle de force de proposition et d’examen des résultats du plan d’action soit renforcé par un calendrier de réunion à la hauteur des enjeux du protocole. Une meilleure articulation avec le secteur de l’enseignement culturel reste à faire alors que les représentants du personnel sont amenés à prendre en compte des faits de discrimination ou de violence pouvant toucher les 1021 enseignant.e.s titulaires, les centaines de contractuel.le.s, et enseignant.e.s précarisé.e.s et les 36 000 étudiant.e.s de ce secteur et que des représentants du personnel se battent également au sein du Cneserac pour mettre en œuvre des mesures favorisant la représentation des étudiant.e.s dans toutes les instances de décision de l’enseignement culturel.