Après plus de deux ans de difficultés liés à des problèmes matériels majeurs, le laboratoire des archives françaises du film – CNC – est confronté depuis plusieurs mois à de multiples pressions comme des délais anormalement longs de validation de congés et du dénigrement professionnel qui mettent en souffrance tout le collectif de travail.
L’absence d’écoute et de concertation avec l’équipe atteint aujourd’hui son paroxysme après une réunion avec la direction qui persiste et signe dans le mépris des personnels et de leur éthique.
Cette réunion faisait pourtant suite à un courrier collectif (ci-dessous), signé par la quasi-totalité du service, qui constituait une déclaration explicite de souffrance au travail.
Bois d’Arcy, le 14 mai 2019
Monsieur le Directeur du patrimoine cinématographique,
Nous souhaitons par la présente lettre vous alerter d’un malaise croissant et persistant touchant les agents travaillant au sein du service du laboratoire du CNC.
L’équipe est en attente d’un projet et d’objectifs de services clairs, structurants et faisant sens.
Aussi avons-nous été très étonnés de constater, reportés sur nos compte-rendu d’entretiens professionnels, des objectifs collectifs de service réduits à des directives et des descriptions de process.
Voici par exemple les objectifs collectifs du service mentionnés :
• pour les agents chargés de restauration :
Objectifs collectifs du service
Rigueur à chaque étape du travail (inspection de l’état du support avant et après travaux, contrôle qualité, respect du bon nommage des fichiers, remplissage des tableaux). Tenue du dossier de restauration pour chaque film fait en interne dès sa mise en place. Vigilance sur le remplissage du SAN et des LAN. Optimisation du temps de travail (arriver à restaurer une bobine de 20 mins par semaine comme nos confrères par CDR). Respect des procédures (port de blouse, utilisation PTR etc.). Autonomie sur chaque machine. Tous ces critères participent à la démarche qualité.
• pour les agents chargé de la sous-traitance :
Objectifs collectifs du service
Rigueur, Optimisaiton temps de travail, Contrôl de Qualité, Respect de la mise en place des procédures.
Le principal objectif collectif apparaissant est « l’optimisation du temps de travail ».
Cette volonté d’optimisation appliquée de façon brutale, sans concertation et sans réelle réflexion collective, menace notre identité professionnelle et collectivement tout le service dans l’exercice de ses missions, faute d’une prise en compte des spécificités de nos métiers et de ses contraintes objectives.
Les Chargés de restauration se voient assigner des objectifs et des délais non réalistes, pas tenables et peu clairs, au vu de la spécificité de nos tâches (construites avec le temps de manière transversale), de l’organisation du service et des moyens humains et techniques mis à notre disposition.
Notre hiérarchie nous demande « d’arriver à restaurer une bobine de 20 minutes par semaine comme nos confrères chargés de restauration ». De quels confrères parle-t-on ? La qualité doit-elle être sacrifiée au dépend de la productivité pour coller avec un supposé référentiel du secteur privé ?
Ces injonctions prennent-elles en compte la remise en état mécanique des éléments, les traitements chimiques nécessaires avant le scan, la numérisation (scan), la restauration numérique sur le logiciel Diamant, l’étalonnage et la livraison des éléments finaux ?
S’il s’agit de nos confrères des laboratoires privés, oui nous connaissons leur organisation et les délais très courts qui leurs sont fixés. Les chaînes de travail sont taylorisées. Le travail est souvent organisé en deux huit ou trois huit. Les exigences éthiques de restauration propres aux recommandations de la FIAF et de nombreuses archives sont souvent mises de côté pour travailler plus vite. Hyper-stabiliser les images, zoomer dans l’image, pousser les filtres au détriment du grain originel. Laisser des artefacts numériques non visibles en lecture à 24 images par seconde.
Nous travaillons de plus sur des éléments souvent fortement dégradés qui demandent un soin et une attention particulière que des laboratoires privés ne sont pas toujours en mesure de traiter.
Quelle est la justification de vouloir calquer des délais et une organisation des laboratoires privés sur le laboratoire de restauration du CNC qui a des missions de préservation, de conservation et de valorisation d’éléments de patrimoine, dans les meilleures conditions possibles ?
Est-il dans les projets de l’administration de nous aligner sur des objectifs à court terme de rentabilité financière comme les acteurs privés en rupture avec nos missions de service public ? Nous avons le devoir de respecter le patrimoine cinématographique qui nous est confié, et de le traiter avec une démarche éthique de tous les instants, à l’écoute des réflexions et des recommandations des grands acteurs de la conservation et du patrimoine.
Les points collectifs d’organisation de travail ne sont pas évoqués depuis janvier.
Nous sommes étonnés qu’aucun lieu de dialogue n’ait été ouvert, alors qu’a été mis en évidence une incompréhension majeure avec notre hiérarchie sur l’organisation du travail, l’objectif de productivité qui a été exigé ainsi que sur la validation de nos demandes de congés.
Les demandes de vacances d’été n’ont toujours pas donné lieu à un retour pour plusieurs d’entre nous alors qu’elles ont été posées depuis plus d’un mois dans Octime.
Cette pratique préfigurait-elle un mode de gestion du service mettant inutilement en tension les agents et qui irait à l’encontre d’une recherche de qualité de vie au travail, un des objectifs affiché de la politique RH au CNC.
Les agents du laboratoire ne peuvent travailler dans une ambiance anxiogène et de plus mettant en cause leur identité professionnelle.
Nous refusons :
• des objectifs de productivité non tenable.
• la validation tardive et aléatoire des demandes de congés comme moyen de pression.
• la demande de rédiger des rapports le week-end ou en dehors du temps de travail suite à des formations.
• la diffusion de ces rapports sans en informer les intéressés.
• des évaluations des stagiaires par le formateur à l’issue d’une formation, sans justification pédagogique et sans que les stagiaires en aient été avertis au préalable.
• la mise en place d’une grille d’auto-évaluation sur une série de logiciels en dehors du cadre de l’entretien annuel formalisé par le service des ressources humaines.
• la mise en concurrence des agents sur des objectifs de productivité.
• la recherche de responsabilité personnelle suite à des dysfonctionnements techniques.
• la remise en cause des compétences professionnelles des agents.
• le dénigrement envers les agents et leur travail.
• l’intervention de personnes extérieures au CNC sur notre travail en cours en dehors de tout cadre (de plus sans en avoir été prévenu au préalable).
Nous souhaitons réaffirmer notre attachement et notre fierté à exercer nos métiers et notre souhait de participer à un projet de service cohérent, participatif et respectueux de chacun. Un projet s’appuyant sur les qualités et compétences qu’ont développées les agents depuis de nombreuses années, qui soit respectueux de ce qui fait la spécificité de notre direction, un service public de haut niveau de la conservation et de la restauration du patrimoine cinématographique.
Cette spécificité a forgé l’identité professionnelle des agents, agents soucieux d’une éthique de la restauration et de la conservation, très attachés à une démarche qualité et de service public.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de nos salutations distinguées.